La logique dissimulée de la réforme sarkozyste des retraites

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Si vous voulez comprendre ce que le pouvoir sarkozyste est en train de nous faire avec sa politique de l’emploi et sa réforme des retraites, quelle en est la logique cachée sous d'apparentes incohérences (telles l'allongement du temps de travail, le recul du départ à la retraite jusqu'à point d'âge et les licenciements ou le sous-emploi toutes générations confondues), si enfin vous voulez trouver les raisons du refus de cette politique, alors lisez ou relisez Marx, en l'espèce le chapitre XXV (« Loi générale de l’accumulation capitaliste ») de la Septième section (« Accumulation du capital ») du Livre I du Capital, et tout particulièrement sa partie III : Production croissante d’une surpopulation relative ou d’une armée industrielle de réserve dont nous citons en exergue quelques extraits remarquables puis publions l'intégralité (cf. infra fichier attaché) :

« Si l’accumulation, le progrès de la richesse sur la base capitaliste, produit [...] nécessairement une surpopulation ouvrière, celle-ci devient à son tour le levier le plus puissant de l’accumulation, une condition d’existence de la production capitaliste dans son état de développement intégral. Elle forme une armée de réserve industrielle qui appartient au capital d’une manière aussi absolue que s’il l’avait élevée et disciplinée à ses propres frais. Elle fournit à ses besoins de valorisation flottants, et, indépendamment de l’accroissement naturel de la population, la matière humaine toujours exploitable et toujours disponible. [...]
Le progrès industriel, qui suit la marche de l’accumulation, non seulement réduit de plus en plus le nombre des ouvriers nécessaires pour mettre en œuvre une masse croissante de moyens de production, il augmente en même temps la quantité de travail que l’ouvrier individuel doit fournir. A mesure qu’il développe les pouvoirs productifs du travail et fait donc tirer plus de produits de moins de travail, le système capitaliste développe aussi les moyens de tirer plus de travail du salarié, soit en prolongeant sa journée, soit en rendant son labeur plus intense, ou encore d’augmenter en apparence le nombre des travailleurs employés en remplaçant une force supérieure et plus chère par plusieurs forces inférieures et à bon marché, l’homme par la femme, l’adulte par l’adolescent et l’enfant, un Yankee par trois Chinois. Voilà autant de méthodes pour diminuer la demande de travail et en rendre l’offre surabondante, en un mot, pour fabriquer des surnuméraires.
L’excès de travail imposé à la fraction de la classe salariée qui se trouve en service actif grossit les rangs de la réserve, et, en augmentant la pression que la concurrence de la dernière exerce sur la première, force celle-ci à subir plus docilement les ordres du capital. A cet égard il est très instructif de comparer les remontrances des fabricants anglais au dernier siècle, à la veille de la révolution mécanique, avec celles des ouvriers de fabrique anglais en plein XIX° siècle. Le porte-parole des premiers, appréciant fort bien l’effet qu’une réserve de surnuméraires produit sur le service actif, s’écrie :
« Dans ce royaume une autre cause de l’oisiveté, c’est le manque d’un nombre suffisant de bras. Toutes les fois qu’une demande extraordinaire rend insuffisante la masse de travail qu’on a sous la main, les ouvriers sentent leur propre importance et veulent la faire sentir aux maîtres. C’est étonnant, mais ces gens-là sont si dépravés, que dans de tels cas des groupes d’ouvriers se sont mis d’accord pour jeter leurs maîtres dans l’embarras en cessant de travailler pendant toute une journée [Essay on Trade and Commerce. » Lond., 1770, p. 27, 28.], c’est-à-dire que ces gens « dépravés » s’imaginaient que le prix des marchandises est réglé par la « sainte » loi de l’offre et la demande.
Aujourd’hui les choses ont bien changé, grâce au développement de l’industrie mécanique. Personne n’oserait plus prétendre, dans ce bon royaume d’Angleterre, que le manque de bras rend les ouvriers oisifs ! Au milieu de la disette cotonnière, quand les fabriques anglaises avaient jeté la plupart de leurs hommes de peine sur le pavé et que le reste n’était occupé que quatre ou six heures par jour, quelques fabricants de Bolton tentèrent d’imposer à leurs fileurs un temps de travail supplémentaire, lequel, conformément à la loi sur les fabriques, ne pouvait frapper que les hommes adultes. Ceux-ci répondirent par un pamphlet d’où nous extrayons le passage suivant :
« On a proposé aux ouvriers adultes de travailler de douze à treize heures par jour, à un moment où des centaines d’entre eux sont forcés de rester oisifs, qui cependant accepteraient volontiers même une occupation partielle pour soutenir leurs familles et sauver leurs frères d’une mort prématurée causée par l’excès de travail... Nous le demandons, cette habitude d’imposer aux ouvriers occupés un temps de travail supplémentaire permet-elle d’établir des rapports supportables entre les maîtres et leurs serviteurs ? Les victimes du travail excessif ressentent l’injustice tout autant que ceux que l’on condamne à l’oisiveté forcée (condemned to forced idleness). Si le travail était distribué d’une manière équitable, il y aurait dans ce district assez de besogne pour que chacun en eût sa part. Nous ne demandons que notre droit en invitant nos maîtres à raccourcir généralement la journée tant que durera la situation actuelle des choses, au lieu d’exténuer les uns de travail et de forcer les autres, faute de travail, à vivre des secours de la bienfaisance [Reports of Insp. of Factories, 31 oct. 1863, p. 8.]. » [...]
Aussi, quand les travailleurs commencent à s’apercevoir que leur fonction d’instruments de mise en valeur du capital devient plus précaire, à mesure que leur travail et la richesse de leurs maîtres augmentent ; dès qu’ils découvrent que l’intensité de la concurrence qu’ils se font les uns aux autres dépend entièrement de la pression exercée par les surnuméraires; dès qu’afin d’affaiblir l’effet funeste de cette loi « naturelle » de l’accumulation capitaliste ils s’unissent pour organiser l’entente et l’action commune entre les occupés et les non-occupés, aussitôt le capital et son sycophante l’économiste de crier au sacrilège, à la violation de la loi « éternelle » de l’offre et la demande. »

PDF : Marx, Capital, Livre I, Section 7, chapitre XXV, III

Image : "Réduisons les heures de travail", affiche de la CGT, 1912.

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Permalien

« Le vécu de la misère, s'il peut engendrer des révoltés, n'engendre pas spontanément des révolutionnaires. L'exploité devient révolutionnaire à condition de connaître le mode d'engendrement et de reproduction des rapports socio-économiques qui font de lui un exploité. » (Jean-Toussaint Desanti)