« Il n’y a pas et il n’y aura jamais de dialogue ou de compromis possible avec l’extrême droite » (Jacques Chirac)

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  • lun, 2011-09-05 00:30
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Jacques Chirac à Jérusalem le 22 octobre 1996  Chirac à Jérusalem le 22 octobre 1996 (voir la vidéo)

Au fond, quelle que soit son appartenance politique, et quoi que l'on pense des « défaillances » de Chirac face à la justice, on lui accordera volontiers la véracité de cette tendre expression de sa passion pour « les Français aux mille visages » : « je ne peux penser à eux sans que le sourire me vienne et l’émotion m’envahisse ». Car si Chichi a parfois la mémoire courte, ce n’est pas le cas de toutes ses idées, à la différence des phantasmes de l’homme de ressentiment qui lui a succédé à l'Élysée et dont il se démarque dignement dans la fin du second tome de ses Mémoires, Le temps présidentiel (Nil Éditions, juin 2011), son «Testament politique». Première de couverture du volume 2 des Mémoires de Jacques Chirac, Le temps présidentiel

 

« [598] Mon premier message est qu’il faut relever le défi de la mondialisation, non pas en imitant les autres, mais en assumant notre identité.

Ce qui nous rassemble n’est ni un territoire, ni une “race”, ni une religion, ni la soif de possession. Ce qui nous rassemble c’est un sentiment d’appartenance à des valeurs – l’égalité, la fraternité, la liberté d’entreprendre et de penser – et cette conviction que nous avons des devoirs particuliers les uns envers les autres et vis-à-vis du monde. Si vous me demandez de définir ce qu’est l’identité de la France, je vous dirai que notre pays n’a probablement jamais été autant lui-même que lors de la Première Guerre [599] mondiale. En ces temps tragiques, le paysan, l’ouvrier, l’instituteur, le notable et l’intellectuel se sont rassemblés en une nation pour défendre leurs terres, leurs biens, leurs familles mais aussi les valeurs de la République : le droit de vivre libre et de pouvoir s’élever et réussir par l’étude, le mérite et le travail. Ma conviction est que le pays, dans ses profondeurs, n’a pas tant changé que cela. Certes, la montée de l’individualisme, un système de solidarité vécu comme allant de soi, et une soif de consommation, qui est la marque de notre temps, ont conduit à ce que, trop souvent, la revendication de droits prenne le pas sur l’exigence d’assumer d’abord ses devoirs. La population française aussi a changé en quelques décennies. Notre pays a toujours été une terre d’immigration. Mais, à partir des années 1960, il a connu un mouvement sans précédent dans son histoire, un mouvement marqué par l’arrivée d’immigrés nouveaux et par l’émergence de la religion musulmane dans une communauté nationale laïque mais façonnée de culture chrétienne. La crise économique et le chômage ont agi comme des ferments d’une crise identitaire, sur laquelle a pu renaître ce vieil ennemi de l’intérieur : le rejet de l’autre, le racisme et l’affirmation, crue et vulgaire, qu’il serait bien légitime de céder à l’égoïsme.

Ce chemin n’est pas le nôtre. Dans notre histoire, des guerres de Religion à Vichy, il nous a toujours conduits aux pires catastrophes, à l’abaissement et à la servitude. Méfions-nous des multiples masques de l’extrême droite. N’oublions jamais qu’elle a su prendre hier celui d’un très vieux maréchal de France [600] au regard bleu azur et qu’elle peut prendre demain d’autres formes rassurantes. Mais l’extrême droite ne changera jamais. Elle n’est pas un populisme cocardier mâtiné de gros bon sens et de “respect des traditions”. C’est une machine de guerre contre la raison, une idéologie de combat fondée sur le rejet des valeurs démocratiques, le refus du progrès économique et la haine des différences, qu’elles soient ethniques ou culturelles. Il n’y a pas et il n’y aura jamais de dialogue ou de compromis possible avec l’extrême droite. Tous ceux qui s’y sont essayés, pensant jouer au plus fin ont trouvé sur leur chemin plus forts et plus cyniques qu’eux. Ils ont fini submergés et vaincus.

Faut-il pour autant nier les tensions identitaires qui nous traversent ? Non ! Il faut leur apporter des réponses fortes, mais des réponses qui nous ressemblent. Nous devons nous rassembler dans un double refus : celui du racisme et celui du communautarisme. Le racisme, la xénophobie sont des injures au cœur et à la raison. Ils abaissent ceux qui les éprouvent et blessent irrémédiablement ceux qui en sont victimes. On ne peut pas construire une communauté nationale sur l’acceptation voire l’indulgence vis-à-vis de ces sentiments et de leur traduction : les discriminations. Que l’on remplace le mot musulman par le mot juif dans certaines déclarations et l’on pourra mesurer que le poison des années 1930 peut couler à nouveau dans nos veines. Dans le même temps, il ne saurait être question qu’à l’école, dans les cantines, dans les hôpitaux, dans les services publics, au travail on segmente, on fractionne les [601] Français, les femmes, les hommes, pour permettre la coexistence de règles différentes. Sous couvert de libertés religieuses, c’est une autre forme d’idéologie antidémocratique et rétrograde qui est à l’œuvre. Par ses objectifs et ses méthodes de provocation identitaire, l’idéologie communautariste n’est pas si éloignée de celle de l’extrême droite.

Cet équilibre qui doit être le nôtre est tout entier résumé dans la phrase du Général De Gaulle : “Je ne connais que deux catégories de Français, ceux qui font leur devoir et ceux qui ne le font pas.” Refus du racisme, primauté des devoirs sur les droits. Respect absolu de la loi. Tout est dit et éclaire le chemin du modèle de vie en commun qu’il nous faut continuer à bâtir pour être forts dans la mondialisation.

C’est dans la mondialisation aussi qu’il nous faut penser la question migratoire. Qui peut croire, s’il regarde les choses avec un minimum d’humanité, que l’on laisse derrière soi son pays, ses proches, son histoire pour aller chercher ailleurs le bénéfice d’“allocations sans travailler” ? C’est le dénuement, la désespérance ou la tyrannie qui poussent tant d’hommes, de femmes, d’enfants sur les routes angoissantes et incertaines de l’immigration. Le dernier mot, bien sûr, doit rester à la loi : le laxisme, les frontières qui n’en sont pas, les régularisations de masse sont autant de fautes qui ne peuvent qu’aviver les tensions que nous connaissons. Mais la réponse fondamentale est dans un changement radical des instruments d’aide au développement. Seuls des financements innovants, comme ceux que nous [602] avons lancés, avec le président Lula, pour donner aux plus pauvres la possibilité de lutter contre le sida, le paludisme et la tuberculose, sont à la mesure des enjeux. La France et l’Europe doivent agir afin d’imposer, au plan mondial, une contribution sur des transactions financières pour aider fortement les pays les plus pauvres à se développer. Ces nouveaux instruments d’action doivent aller de pair, bien plus qu’aujourd’hui, avec une exigence de réformes démocratiques et de lutte contre la corruption. Il n’est ici question ni d’utopie ni de bons sentiments. Une contribution de type “taxe Tobin” est parfaitement possible à mettre en place dans le cadre de nouvelles et indispensables mesures visant à réguler les marchés financiers mondiaux. Quand le développement économique est au rendez-vous, les flux migratoires s’inversent. Souvenons-nous qu’il y a quelques décennies l’Irlande, l’Espagne ou le Portugal étaient des pays d’émigration massive avant que les effets de l’intégration européenne ne changent totalement les choses. Pourquoi en serait-il autrement des pays du Sud, si on les aide à prendre toute leur place dans l’économie mondiale ? »

 

Discours de Jacques Chirac sur la responsabilité de Vichy dans la déportation, 16 juillet 1995. Snapshot de l'archive INA.

Discours de J. Chirac sur la responsabilité de l'État français dans la déportation, 16 juillet 1995 (voir la vidéo)

Commentaire(s)

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À Rachid Arhab Chirac dit qu'il rapportait un témoignage qu'il ne reprenait pas à son compte... témoignage que par ailleurs, 20 ans plus tard il est vrai, l'extrait de ses mémoires dément... Alors quoi? Devant lui, lors de la déclaration coupable, de nombreux verres... Encore un coup de Bacchus?

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@ Quidam
Vous avez raison, remember, ces propos de fin de banquet étaient lamentables, et plus encore (Moderator) leur dénégation sur le plateau de Rachid Arhab (« Je ne fais pas mien, bien entendu, le témoignage que j’ai rapporté ». Quel témoignage ? celui d’Alain Juppé ? Et il en rajoute une couche : « mais je l’ai à des centaines d’exemplaires ! »).

Toutefois Chirac ne fait-il pas amende honorable dans ce passage :

« Qui peut croire, s’il regarde les choses avec un minimum d’humanité, que l’on laisse derrière soi son pays, ses proches, son histoire pour aller chercher ailleurs le bénéfice d’“allocations sans travailler” ? », etc. ?

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Rien de bien révolutionnaire en tout cas dans les propositions de Chirac : la taxe Tobin et le modèle de l'intégration européenne. Peut mieux faire.
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François Hollande tourne le dos au mitterrandisme et confirme la déclaration de Jacques Chirac de 1995 en reconnaissant à son tour la responsabilité historique de la France dans la rafle de juifs "du vélodrome d'hiver" commise le 16 juillet 1942 à Paris par la police française au service de l'occupant nazi.

Ce 22 juillet il a déclaré : "Ce crime a été commis en France par la France. [...] La reconnaissance de cette faute a été énoncée pour la première fois, avec lucidité et courage, par le président Jacques Chirac, le 16 juillet 1995." Ce crime "fut aussi un crime contre la France, une trahison de ses valeurs. Ces mêmes valeurs que la Résistance, la France libre, les Justes surent incarner dans l'honneur". Et Fr. Hollande a dénoncé l'ignorance de ce sombre moment de notre Histoire par la jeunesse de France.

Avec Hollande, au moins, la dignité est de retour à la tête de l'État.

Lire et voir : http://www.liberation.fr/societe/2012/07/22/francois-hollande-le-vel-d-…

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Même si Chichi n'aura pas été le pire de nos présidents (sa position sur la guerre en Irak fut courageuse) on aurait aimé que ses actes soient plus en ligne avec ses paroles ...

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Oui, sur l’Irak, Villepin-Chirac avaient été très bons, Villepin notamment face au menteur Colin Powell, et l’Histoire leur a donné raison. La parole fut alors d'or. En revanche, la politique économique n’a jamais été au fond sous Chirac que celle que poursuivra Sarkozy (voire pire : remember les CPE, CNE), mais avec cette différence que Chichi reculait parfois de façon gaullienne devant les refus populaires, ce qui avait mis Fillon hors de lui à la fin de sa participation au gvt, quand il fut contraint par l’Elysée à renoncer à ses réformes de l’éducation … On connaît la suite. Le sarkofillonisme a été porté par la volonté d'agir malgré la volonté populaire, et cette fois la parole a été machiavélienne. Cf. par exemple http://www.youtube.com/watch?v=E2t6EuI37HA&feature=plcp

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2002, entre-deux-tours des élections présidentielles. Olivier Mazerolle et Gérard Leclerc reçoivent sur France 2 Jacques Chirac qui est arrivé en tête au 1er tour avec seulement 20% des voix, devant J.-M. Le Pen (17%) et Lionel Jospin battu avec 16% des suffrages.

Ce fut un discours électoral, il s'agissait de gagner une élection. Chirac la gagna avec une très forte majorité (82,1%), sur laquelle ensuite il ne s'appuya pas pour mener la politique d'ouverture qu'il aurait pu conduire, lui, l'ancien sympathisant communiste. Il le regretta d'ailleurs récemment. Et cependant ce discours de Chirac (j'entends ses 8 premières minutes reprises ici) est à bien des égards digne. Il est celui que l'on peut espérer de nos élus républicains aujourd'hui et demain contre la montée désormais inévitable de l'extrême droite vers le pouvoir sous la double impulsion du capital et du ressentiment populaire.


(Réalisateur de l'émission: Jean-pierre Leroux)