Agnès VARDA : « Un inventaire à la Prévert »

 Revue Pour Agnès Varda - Née en Belgique en 1928. Photographe, plasticienne, elle est surtout réalisatrice.

 

Agnès Varda, cinéaste, photographe, plasticienne publie avec Arte Tout(e) Varda, un coffret qui rassemble l’ensemble de son œuvre (La pointe courte, Cléo de 5 à 7, Sans toit ni loi, Les glaneurs et les glaneuses, Jacquot de Nantes...), et plus encore ... Pierre Davin l'a rencontrée pour La Revue POUR.

 

Pour (Pierre Davin) : Vous publiez un coffret compilant toute votre œuvre et en même temps, vous souhaitez vous adresser aux enseignants. Qu’avez-vous à leur dire ?

Agnès Varda : Je veux leur dire que si quelques fois il leur faut du courage pour faire leur travail, leur parole peut transformer la vie des enfants. Le comportement d’un enseignant peut marquer toute une vie. J’ai une expérience à rapporter. Cela se passait pendant la seconde guerre mondiale. Il y eu bombardement alors que j’étais au lycée pendant que la professeure faisait un cours sur Mallarmé. Il nous a fallu tous descendre à la cave. Aussitôt assis, la prof à repris son cours. Cette histoire je l’ai racontée dans Les plages d’Agnès. Ce film raconte ce que j’ai appris des enseignants, comment leur parole m’a impressionnée, m’a marquée. Si parfois il leur faut traverser des moments difficiles, supporter une classe qui chahutent ou qui écoute à moitié, leur parole, l’exemple qu’ils donnent sont déterminants. Ils ont toute mon admiration.

J’ai aussi eu la chance de rencontrer pas mal d’enseignants qui m’ont dit avoir fait passer mes films dans leur établissement, notamment Les glaneuses et les glaneurs qui propose une réflexion sur la consommation, le développement. Mes films peuvent les aider dans ce type de démarche, parce que j’ai un langage qui peut paraître un peu étrange, mais qui au fond est assez simple. À partir de la, ils peuvent broder, travailler.

P. : Pourquoi avoir choisi de compiler toutes vos œuvres ?

A.V. : Ce n’est pas une compilation, c’est une somme, une addition, un inventaire, mais un inventaire un peu a la façon de Prévert. La liberté de ton de Prévert a été essentielle pour moi. Ce coffret c’est tout ce que j’ai fait, c’est une pochette-surprise. Il y a une toupie, une photo, une recette de gratin de côtes de blettes. Il y a des éléments inédits comme cette publicité pour Tupperware que j’ai faite à la façon de Jacques Demy. Il y a mes films documentaires et mes films de fiction. En tant que cinéaste j’ai navigué naturellement d’un genre à l’autre. Mais mon travail artistique ne se limite pas à cela. J’ai débuté comme photographe, je suis cinéaste. Mais j’ai aussi créé les cabanes. Vous n’avez pas aimé les cabanes quand vous étiez enfant? Faire une cabane c’est une façon de se mettre à l’abri, alors, quand je fais les cabanes, je raconte quelque chose, je fais des cabanes dans des matières qui ont du sens comme de la pellicule de film.

P. : Comment êtes-vous devenue cinéaste?

A.V. : Mon premier film, La pointe courte avec Philippe Noiret dont c’était aussi le premier film et Silvia Montfort qui avait déjà un nom, se déroule à Sète. En tant que photographe j’avais travaillé sur le quartier des pêcheurs. J’aimais les pêcheurs de ce quartier, leurs familles, leur façon de travailler et de parler de leurs problèmes. Je les photographiais, je notais leurs propos. Je me souviens avoir été très impressionnée par une fratrie de neuf enfants. Les lieux aussi me plaisaient, les matières les détails, le vent dans les draps. Je me préparais en photographe à devenir cinéaste. Comment et pourquoi ai-je commencé a écrire un scénario et envisagé de faire un film? Un mystère subsiste. J’étais photographe mais aimant les mots et les dialogues. Peut-être voulais-je quitter le silence des portraits immobiles pour aller vers des voix, des sons, du mouvement et de la musique. J’ai écrit le scénario à ma façon, des dialogues que je soignais de mon mieux pour le couple et des propos recueillis auprès des gens de la pointe courte que j’adaptais.

P. : Vos débuts c’est aussi la rencontre avec Jean Vilar, avec Jacques Demy que vous avez épousé. En quoi ces rencontres ont-elles été déterminantes ?

Agnès Varda : Je travaillais comme photographe au Théâtre national populaire alors dirigé par Jean Vilar. Puis j’ai rencontré Jacques Demy mon futur époux. Ce sont mes premières rencontres. Ce sont eux qui m’ont lancée. Avec Jacques on s’était rencontré dans un festival de courts métrages après on a passé pas mal d’années ensemble, 32 ans ... Alors évidemment son absence est très présente dans ce coffret qui contient mon parcours, ma vie, tous les gens que j’ai approchés. J’ai fait un film sur Jacques, Jacquot de Nantes, d’après ses souvenirs d’enfance qu’il m’avait d’abord racontés puis écrits. J’apprenais à connaitre un petit garçon qui a traversé la même époque que moi mais d’une tout autre façon.

Propos recueillis par Pierre Davin (et publiés dans le n° 164 de la Revue POUR - novembre 2012)