Souvenez-vous (JMG Le Clézio)

« Souvenez-vous, c’était l’été de 1940, c’était hier. Les braves gens marchaient dans les rues de Nice, en scandant des mots de haine contre les Juifs, contre les étrangers. Le journal le Petit Niçois lançait ses mots d’ordre pour les manifestations, sus aux parasites, chassons les métèques de notre ville, ce sont eux qui causent tous les maux dont nous souffrons, ce sont eux qui nous volent et nous assassinent, ce sont eux qui corrompent notre jeunesse. D’autres journaux reprenaient en chœur les mêmes slogans de haine, d’intolérance, les mêmes appels à la violence : le Progrès Provençal, l’Éclaireur, l’Alerte dénonçaient la conspiration, le Juif Jonas, les fauteurs de guerre, ils cherchaient le même bouc émissaire aux échecs économiques et à la crise morale qui parcouraient l’Europe, ils préparaient les mêmes rafles et les mêmes crimes, ils célébraient la même haine, et la guerre grondait aux portes.

Souvenez-vous, c’était hier, c’était l’hiver 1943, le préfet Ribière donnait son ordre d’expulsion des Juifs, la Wehrmacht s’installait à Nice, l’hôtel Excelsior près de la gare était le centre des déportations, l’Hermitage de Cimiez abritait dans ses caves les salles de torture de la Gestapo. À Nice transitaient les wagons sans fenêtres qui emportaient leur cargaison humaine depuis le camp de Borgo san Dalmazzo vers Drancy, et vers la mort, à Auschwitz.

Souvenez-vous, c’était hier, c’était en 1957, en 1958, pendant la guerre d’Algérie, il y avait les ratonnades dans la vieille ville, sur l’esplanade, sur la place Garibaldi. Souvenez-vous, l’abandon des harkis dans les camps, à Tourettes, dans la vallée du Var, dans la vallée de la Roya.

Souvenez-vous, c’était hier, le mot d’ordre d’expulsion des immigrés, les ghettos de l’Ariane, les terrains vagues loués aux bidonvilles, à l’aéroport, à la Digue des Français. Les foyers pour les parias, dans la poussière des carrières de sable, sur la rive gauche du Var, ou dans les fumées de l’incinérateur d’ordures.

Souvenez-vous, c’était hier, les journaux parlaient de l’insécurité, de l’invasion des étrangers, et c’étaient les mêmes mots qu’avant-hier, sus aux bronzés, chassons les Arabes de notre rivage, ce sont eux qui causent tous les maux dont nous souffrons, par leur religion, leurs habitudes, leur couleur de peau, leur odeur.

Souvenez-vous, c’était hier, il y a quatre ans à peine, ce maçon marocain qui rentrait chez lui, un soir d’été, et qu’une bande de voyous avait tué à coups de bâton, sur le bord du Paillon, non loin du palais d’Acropolis où il avait travaillé. Pour rien, pour le plaisir de la haine.

Souvenez-vous, de tout cela, pour que nos enfants n’aient pas les mêmes terribles souvenirs. »

J.M.G. LE CLÉZIO (Texte cité sans autre source que le nom de l’auteur. Si vous connaissez son origine, merci de nous en informer. admin@politproductions.com)

 

Image : Bandeau du site de Jean KLEINMANN, auteur d'une thèse sur La Vie des Juifs à Nice dans la deuxième guerre Mondiale et leur déportation, lisible en ligne sur le site de Jean Kleinmann.

 

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«Souvenez-vous, c’était hier, c’était en 1957, en 1958, pendant la guerre d’Algérie, il y avait les ratonnades dans la vieille ville, sur l’esplanade, sur la place Garibaldi. Souvenez-vous, l’abandon des harkis dans les camps, à Tourettes, dans la vallée du Var, dans la vallée de la Roya.», J.M.G. LE CLÉZIO

Déjà, et ça recommence aujourd'hui, sous des formes apparemment plus soft...

 

Benoît Ducos est pisteur-secouriste en montagne et bénévole au Refuge solidaire. Depuis décembre, il participe à des maraudes pour sauver les migrants qui franchissent la frontière franco-italienne dans les massifs des Alpes malgré la neige et le froid. Il a raconté à InfoMigrants le sauvetage d’une jeune femme enceinte de 8 mois et demi et de sa famille.

"Samedi 10 mars, vers 20 heures, je marchais avec un autre bénévole du Refuge solidaire à Montgenèvre, comme tous les jours depuis le début de l’hiver, pour secourir des migrants qui franchissent la frontière franco-italienne à pieds.

Nous sommes tombés sur un groupe de six personnes : une jeune femme enceinte, deux petits enfants de deux et quatre ans, le papa et deux autres personnes que la petite famille, originaire du Nigeria, avait rencontrées en Italie.

Tous venaient de Turin, ils étaient descendus à la gare d’Oulx, puis avaient rejoint en bus Claviere, le dernier village italien avant la frontière. De là, ils ont trouvé un chemin pour passer la frontière sans se faire repérer.

À cet endroit-là, nous sommes à 1 900 mètres d’altitude, c’est complètement enneigé et il y a de gros risques d’avalanches. Les deux personnes portaient la maman qui ne pouvait plus mettre un pied devant l’autre, le papa, lui, portait les deux petits.

"Est-ce que les gens qui sont avec vous ont des papiers ?"

On leur a donné des vêtements et de nouvelles chaussures parce qu’ils avaient les pieds trempés. On les a réchauffés avec des boissons chaudes, on leur a donné de la nourriture. On a discuté un peu avec eux pour leur expliquer ce qu’on faisait.

Mais on voyait que la maman allait de plus en plus mal. On a posé des questions sur sa grossesse et on s’est dit qu’il fallait qu’on descende le plus vite possible vers Briançon parce que la pauvre dame semblait sur le point d’accoucher. Sur le chemin de l’hôpital, elle souffrait tellement que j’ai accéléré. On est alors tombés sur un barrage.

Les policiers nous ont posé les questions habituelles : 'Qu’est-ce que vous transportez ? Est-ce que les gens qui sont avec vous ont des papiers ?' J’ai dit que ces personnes étaient dans le froid, en situation difficile, que je les avais prises en stop pour les mettre à l’abri à Briançon et que dans le groupe il y a avait une femme enceinte qui avait besoin de soins de toute urgence.

Les policiers m’ont répondu que, étant un homme, je n’étais pas en mesure de savoir si la dame était à deux doigts d’accoucher alors qu’elle se tordait de douleur sur le siège passager à cause des contractions. Nous avons attendu une heure qu’ils se décident à appeler les pompiers. Ces derniers ont emmené la dame à l’hôpital de Briançon, à 500 mètres de là où nous nous trouvions.

"Si on n’avait pas été là, la maman et son bébé y seraient passés"

Elle a donné naissance à un petit garçon par césarienne. Cela aurait été un drame si elle avait dû accoucher dans la neige ou dans la voiture.

Alors que la dame était emmenée à l’hôpital, le père, les enfants et moi avons été emmenés au poste. J’ai été auditionné 5 minutes et convoqué à une audition libre à la police aux frontières (PAF) mercredi matin. On m’a rappelé que j’étais en infraction parce que je transportais des personnes qui étaient en situation irrégulière. Moi j’ai dit que j’avais juste porté assistance à des personnes en danger. On sait bien que si on n’avait pas été là, la maman et son bébé y seraient passés.

Pendant que la dame était à l’hôpital, le père et les enfants ont été renvoyés en Italie. Sommée par l’hôpital de les faire revenir pour être auprès de la jeune mère, la PAF a obtempéré. Ils ont alors été placés par le 115 à Gap, à plus de 100 kilomètres de Briançon. Ça non plus, ce n’est pas très humain."