Aux racines du FN. L’histoire du mouvement Ordre nouveau. Nicolas Lebourg, Jonathan Preda, Joseph Beauregard. Préface de Jean-Yves Camus

 
Première de couverture de "Aux racines du FN. L'histoire du mouvement Ordre nouveau", étude de Nicolas Lebourg, Jonathan Preda, Joseph Beauregard, Jean Jaurès Fondation 2014.
 
 
 
 

Préface

Jean-Yves Camus

 

Le texte qui suit arrive, d’une certaine manière, comme un rappel d’anniversaires importants dans l’histoire des droites radicales en France. Voici en effet quarante-cinq ans, à l’automne 1969, naissait le mouvement Ordre nouveau (ON), auquel revient l’idée initiale d’élargir l’assise électorale de l’opposition nationaliste au gaullisme en promouvant la création du Front national (FN), qui se concrétisera le 5 novembre 1972. Véritable colonne vertébrale idéologique et militante d’un FN dont Jean-Marie Le Pen n’était initialement que le président coopté, ON suivait depuis le départ sa voie propre, celle du nationalisme-révolutionnaire. Le projet frontiste n’était pour lui qu’une tactique susceptible de faire sortir l’extrême droite de la marginalité dans laquelle elle était enfermée, ou plutôt s’était enfermée depuis les années 1950, tout en assurant une base de repli à un groupe dont la surenchère activiste violente n’allait pas tarder à causer sa dissolution le 28 juin 1973. La rupture qui suivit entre les anciens cadres du mouvement et Jean-Marie Le Pen allait aboutir le 5 novembre 1974, il y a donc juste quarante ans, à la fondation d’un Parti des forces nouvelles (PFN) dont l’histoire reste à écrire et qui fut, à bien des égards, une continuation d’un Ordre nouveau devenu aussi mythique que son pseudopode, le Groupe union droit (GUD, devenu Groupe union défense).

Ordre nouveau a été, affirment avec raison Serge Berstein et Pierre Milza, le « fer de lance du néofascisme français » des années 1970 (1). Placé sous l’égide de « grands anciens » qui s’étaient engagés en politique au sein des mouvements nationalistes d’avant 1940 ou du côté de la Révolution nationale, il s’était choisi un nom qui évoquait sans doute davantage pour ses membres le « message aux Français » prononcé par le Maréchal Pétain le 11 octobre 1940 que les personnalistes des années 1930. Toutefois, ON fut un mouvement de jonction générationnelle entre cette vieille garde et une extrême droite de jeunes gens nés après 1945, arrivés à la conscience politique lors de la guerre d’Algérie et de la Guerre Froide et pour qui l’anticommunisme, couplé avec l’antigaullisme, était la raison principale de l’engagement. Le « style » ON était ainsi un mélange détonnant entre idées fondamentalement droitières et phraséologie révolutionnaire, attitude anti-bourgeoise (sincère ou affectée) et rôle d’acteurs, à la fois conscients et manipulés, de la contre-subversion étatique dans la période de l’après-Mai 68. On y retrouvait en somme cette situation, décrite par Emilio Gentile dans son livre Qu’est-ce que le fascisme ? (2), où des rejetons de la bourgeoisie assument leur condition sociale tout en appelant au renversement de l’ordre libéral pour le remplacer par le sentiment d’appartenance à une « communauté militaire », non pas au sens de régiment mais de communauté organique de combat politique.

Il existe plusieurs manières d’appréhender la trajectoire historique et l’idéologie d’Ordre nouveau. La première, non dénuée d’intérêt et utilisée par le journaliste Frédéric Charpier (3), consiste à mettre l’accent sur l’aspect générationnel du groupe et sa fonction comme lieu de socialisation où se créent des liens perdurant jusqu’à nos jours (4) entre des militants se considérant comme des « réprouvés » (5). La seconde, trop méconnue, insiste sur la dimension esthétique déterminante d’ON (et du GUD), « grand amateur d’autoreprésentation narcissique » comme le souligne Zvonimir Novak dans son ouvrage sur l’histoire visuelle de la droite et de l’extrême droite (6). La troisième, enfin, est celle qui souligne le rôle du « groupuscule fasciste » comme « matrice » du FN, optique dernièrement choisie par Valérie Igounet dans son histoire de ce parti (7). Nicolas Lebourg, Jonathan Preda et Joseph Beauregard, à partir d’archives très riches et le plus souvent inédites, ont choisi une voie qui synthétise toutes ces approches complémentaires. Ils ne tombent évidemment pas dans le travers propre aux hagiographies par lesquelles des militants nationalistes ont construit la légende d’ON (8). En même temps, et bien que traitant à fond la question de l’instrumentalisation du groupe par une partie de la droite de gouvernement, ils évitent pareillement le simplisme du prisme gauchiste qui faisait à l’époque d’ON une simple « bande armée du capital ».

Nous l’avons dit : ON fut à l’origine du FN. Mais peut-on encore parler en 2014 de filiation autre que chronologique ? Il reste dans la formation de Marine Le Pen d’anciens militants d’Ordre nouveau. Leur fidélité à l’engagement nationaliste est intacte mais le parti dans lequel ils militent ne peut plus être un calque de celui de leur jeunesse : la violence politique a drastiquement diminué ; les lois réprimant le racisme et la xénophobie rendraient certainement illégaux nombre d’éléments de langage d’ON ; l’anticommunisme et l’antigaullisme ne sont plus des déterminants majeurs du combat politique ; enfin, la « dédiabolisation » voulue par l’actuelle direction passe par l’élimination de la visibilité du « folklore » nationaliste (mais non des fondamentaux nationalistes). Toutefois, à bien y regarder, le FN « mariniste » a peut-être davantage appris et retransmis d’ON que sous la présidence de Jean-Marie Le Pen et, en tout cas, la filiation ne se réduit absolument pas aux trajectoires individuelles de quelques conseillers ou proches de la présidente. Parmi les éléments de continuité, on citera la mise en avant de la jeunesse comme avant-garde militante, l’omniprésence de la détestation du « système » et, avant tout, un programme économique et social dont on ne peut nier que, ayant rompu avec le poujadiste libéral antérieur, il présente des similitudes avec le projet nationaliste-révolutionnaire. État interventionniste et fort, justice sociale, appel constant à la libération du pays de l’emprise du « mondialisme » : Alain Renault n’a pas tort d’évoquer, dans une récente publication consacrée à François Duprat, des similitudes dans les programmes (9). Selon lui, « le nationalisme révolutionnaire est un nationalisme populiste antilibéral menant la lutte de libération nationale et sociale contre ce qu’on nomme aujourd’hui le mondialisme » (10). C’est tout l’intérêt de l’Étude qui suit de permettre la compréhension des permanences et des changements de la droite radicale française des quarante dernières années.

1. Cf. Dictionnaire des fascismes et du nazisme, André Versaille, 2010, p. 422.
2. Cf. Qu’est-ce que le fascisme ? Histoire et interprétation, Folio Histoire, 2004.
3. Cf. Génération Occident, Le Seuil, 2005.
4. Une « Amicale des anciens élèves de la Croix-des Gaules », autrement dit de la croix celtique, se joignant aux « Amis de Robert Allo et de Pierre Versini », regroupe chaque année pour un moment convivial « tous les camarades pour qui les rues Vandrezanne, aux Ours, Serpente, des Lombards, d’Assas, des Vertus, du boulevard de Sébastopol ou d’Achrafieh évoquent quelques souvenirs ». Soit, « sans distinction de génération, ni d’affiliation passée ou présente », les militants de la Fédération des étudiants nationalistes (FEN) et d’Europe-Action ; ceux d’Occident, d’ON et du GUD ; du PFN et les nationalistes ayant combattu au Liban dans les rangs des groupes armés chrétiens.
5. Référence aux combattants des corps-francs allemands, sujet du livre éponyme d’Ernst Von Salomon (1931). Une des publications du GUD portera le même titre en 1992.
6. Cf. Tricolores, une histoire visuelle de la droite et de l’extrême droite, L’Echappée, 2011.
7. Cf. Le Front national de 1972 à nos jours, le parti, les hommes, les idées, Le Seuil, 2014.
8. Ainsi de la réédition en 2009, chez Déterna et aux bons soins d’Alain Renault, des textes programmatiques d’ON et des Rats maudits, histoire des étudiants nationalistes (éditions des Monts d’Arrée, 1995), livre-culte réalisé sous la direction de Frédéric Chatillon, Thomas Lagane et Jack Marchal.
9. « François Duprat et le nationalisme-révolutionnaire », Cahiers d’Histoire du nationalisme, n° 2, juin-juillet 2014.
10. Entretien au quotidien Présent, 25 septembre 2014. Alain Renault ajoute : « et avec le sionisme international, si tant est que les deux phénomènes ne se confondent pas ». Or cet « antisionisme » est un des deux points, avec l’européisme, qui marque au contraire la rupture entre ON et le FN mariniste.

 

 

 

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Permalien

Excellente définition de l'extrême droite par les auteurs :

« Le cœur de la vision du monde de l’extrême droite est l’organicisme, c’est-à-dire l’idée que la société fonctionne comme un être vivant. Les extrêmes droites véhiculent une conception organiciste de la communauté qu’elles désirent constituer (que celle-ci repose sur l’ethnie, la nationalité ou la race) ou qu’elles affirment vouloir reconstituer. Cet organicisme implique le rejet de tout universalisme au bénéfice de l’autophilie (la valorisation du «nous») et de l’altérophobie (la peur de «l’autre», assigné à une identité essentialisée par un jeu de permutations entre l’ethnique et le culturel, généralement le cultuel). Les extrémistes de droite absolutisent ainsi les différences (entre nations, races, individus, cultures). Ils tendent à mettre les inégalités sur le même planque les différences, ce qui crée chez eux un climat anxiogène car elles perturbent leur volonté d’organiser de manière homogène leur communauté. Ils cultivent l’utopie d’une «société fermée» propre à assurer la renaissance communautaire. Les extrêmes droites récusent le système politique en vigueur, dans ses institutions et dans ses valeurs (libéralisme politique et humanisme égalitaire). La société leur paraît en décadence et l’État aggrave ce fait: elles s’investissent en conséquence d’une mission perçue comme salvatrice. Elles se constituent en contre-sociétée et se présentent en tant qu’élite de rechange. Leur fonctionnement interne ne repose pas sur des règles démocratiques mais sur le dégagement d’«élites véritables». Leur imaginaire renvoie l’Histoire et la société à de grandes figures archétypales (âge d’or, sauveur, décadence, complot, etc.) et exalte des valeurs irrationnelles non matérialistes (la jeunesse, le culte des morts, etc.). Enfin, elles rejettent l’ordre géopolitique tel qu’il est. » Aux racines du FN..., p. 14-15.