Que penser de l'avis du Conseil d'Etat sur le port du voile par les accompagnatrices scolaires?

La liberté guidant le peuple, Eugène Delacroix, 1830.

Que penser de l'avis du Conseil d'Etat sur le port du voile par les accompagnatrices scolaires? En aucun cas ce que soutient cet article de l'Obs, particulièrement mauvais, que nous citons ci-dessous précisément pour cette raison qu'il représente la misère intellectuelle et politique de la gauche bien pensante, à combattre absolument.

Mettre à toutes les sauces l'article 10 de la Déclaration de 89 est digne des plus mauvaises copies de potaches. Le «souci de faire en sorte que l'exercice d'une liberté par l'un ne nuise pas à l'exercice de cette même liberté par l'autre» est précisément le principe fondamental du droit qui a inspiré l'article 14 de la Charte de la laïcité à l'école, article qu'un juge, gardien des libertés (et non leur «garant», rôle qui revient à la loi elle-même) devrait lui-même respecter pour apprécier un "cas" de trouble à l'ordre public (ici de protection):

Article 14 ‐ Dans les établissements scolaires publics, les règles de vie des différents espaces, précisées dans le règlement intérieur, sont respectueuses de la laïcité. Le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.

L'article 6 de cette Charte permet de faire le lien:

Article 6 ‐ La laïcité de l’École offre aux élèves les conditions pour forger leur personnalité, exercer leur libre arbitre et faire l'apprentissage de la citoyenneté. Elle les protège de tout prosélytisme et de toute pression qui les empêcheraient de faire leurs propres choix.

Et encore faut-il ne pas confondre, comme le fait Bruno Roger-Petit, vêtement et vêtement religieux dont le mode d'expression n'est pas simplement l'expression d'une mode. L'Ecole n'est pas la rue, ou la place publique; tout adulte qui assure dans l'Ecole une fonction, fût-elle bénévole, représente une autorité aux yeux des élèves. Une personne qui les accompagne, éventuellement en voyage, n'est pas un simple "usager", parent accompagnant son propre enfant, par exemple. Il est un moniteur (le latin monitor dit «celui qui montre, qui avertit, qui guide »). Dès lors, il ne s'agit pas de préjuger de l'intention des porteuses de voile, qui peut très bien être dénuée de tout prosélytisme, mais de prévenir l'incidence inductive de son signe sur la construction de la personnalité d'un élève, d'un enfant. Dans l'Ecole de la République on ne peut pas être à la fois porteur d'autorité et porteur d'un signe religieux, quel qu'il soit. L'interdiction de tout signe religieux au sein de la communauté scolaire est un impératif laïque catégorique.

L'imaginaire est bien plutôt dans la tête de ce chroniqueur politique qui semble tout ignorer de la lutte contre le préjugement que depuis toujours les professeurs de l'Ecole de la République (en effet athée) doivent mener pour faire entrer la jeunesse dans le cercle sans identité métaphysique d'une culture commune en mouvement, rationnelle et dialectique, lutte d'autant plus âpre que la politique économique et sociale de l'Etat sape la confiance des citoyens dans son impartialité, mais lutte qui n'a jamais d'autre but que de maintenir ce cercle ouvert au différant, par l'accueil et le recueil (logos) des différences, de toutes les différences, dès lors qu'elles ne tendent pas sciemment au différend. Un équilibre difficile et fragile dont les conditions de possibilité exigent un respect sans concession.

À force de fausse casuistique, de dénis et de reculades, de peur aussi de porter haut les principes de la République (dont le galimatias - tout et son contraire - de la représentante de la FCPE est une illustration de plus - cf. video infra), on trace la route au FN. À reculons. Si la droite et l'extrême droite récupèrent (et falsifient, nous sommes d'accord) la laïcité ou, par ailleurs, la lutte contre l'injustice économique et sociale, c'est qu'elles sont à récupérer, c'est qu'elles sont abandonnées. Non pas volées. Aussi ne faudra-t-il pas se plaindre si, aux petits calculs électoralistes de ce chroniqueur, viennent s'ajouter des millions de voix républicaines perdues.

Le Plus

Port du voile : comment Marine Le Pen et Luc Chatel volent la laïcité à une gauche apeurée

Publié le 24-12-2013 à 12h23 - Modifié le 24-12-2013 à 14h18

Avatar de Bruno Roger-Petit

Par 
Chroniqueur politique

LE PLUS. Suite à l'avis du Conseil d'État sur le port de signes religieux en sortie scolaire, Marine Le Pen (FN) et Luc Chatel (UMP) ont plaidé pour une nouvelle loi sur la laïcité. Une étonnante convergence UMP/FN en faveur d'une laïcité volée à la gauche. Bruno Roger-Petit s'interroge sur la passivité du PS et lui conseille de s'emparer elle-aussi du débat.

Édité par Louise Auvitu  Auteur parrainé par Benoît Raphaël

Le FN de Marine Le Pen et l'UMP de Jean-François Copé sont en train de voler la laïcité à la gauche et celle-ci se laisse faire.

Sitôt connu l'avis du Conseil d’État sur la question du port de signes religieux par des parents accompagnant des enfants en sortie scolaire, avis juste en droit (un principe, des exceptions au cas par cas), Marine Le Pen pour le FN et Luc Chatel pour l'UMP en ont profité pour mener, une fois de plus, l'offensive en faveur ce qu'ils nomment "laïcité".

Une laïcité falsifiée

Marine Le Pen, au nom du FN, appelle à une "une offensive laïque majeure face à tous les obscurantismes", ce qui, selon elle, "permettra de stabiliser nos principes essentiels". Feignant de croire que l'avis du Conseil d'État est un recul, voire une capitulation, elle demande même une nouvelle loi "interdisant de façon définitive ces signes religieux ostensibles chez les accompagnants" (en sortie scolaire : NDLR). 

Luc Chatel, au nom de l'UMP, sur le fond, réclame la même offensive que Marine Le Pen : "Je considère que sur la question de la laïcité, il faut être ferme et précis. Il ne peut y avoir de laïcité à géométrie variable, de laïcité à la carte". Et comme Marine Le Pen, il demande une nouvelle loi : "la législation doit clarifier les choses". 

UMP et FN sont donc alliés objectifs pour estimer qu'il faut plus de "laïcité" et exiger une loi, encore une, pour imposer une conception de la "laïcité" qui, en fait, ne vise qu'une seule catégorie de population.

Disons les choses comme elles sont : "Laïcité", c'est le nom que l'on donne, à l'UMP et au FN, au droit que l'on entend se donner de persécuter ceux qui sont "suspectés" d'être musulmans en France, en 2013. La déclaration quasi-similaire de Luc Chatel à celle de Marine Le Pen est révélatrice de ce que, de plus en plus, L'UMP emboîte le pas du FN dans la construction d'une laïcité falsifiée.

Un instrument identitaire d'oppression politique

Mesurons bien ce qui est en train de se jouer en ce début de siècle : la laïcité émancipatrice de Jaurès est en passe d'être transformée en instrument identitaire d'oppression politique et culturel de classe, tout cela dans le dessein de donner corps à cet ennemi imaginaire, cet ennemi effrayant sans lequel les droites et extrêmes droites françaises ne conçoivent plus pouvoir gagner une élection.

Face à cette offensive "gramcsienne" des droites, la gauche au pouvoir aurait pu saisir l'opportunité offerte par l'avis du Conseil d’État : abroger la circulaire Chatel de 2011, à la légalité douteuse, et oser plaider pour une laïcité à la Jaurès et Buisson (Ferdinand, pas Patrick), conforme à l'esprit de la loi de 1905 séparant les Églises de l'Etat : un État sécularisé, une liberté de culte entière, et des croyances (religieuses ou non) toutes égales en droits.

La laïcité, c'est une obligation de l’État envers lui-même. En affichant sa neutralité, politique et religieuse, il offre à tous les membres de la Nation le même droit à la liberté de conscience, conformément au principe posé par l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 :

"Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi". (On notera que la logique politique et juridique de cet article, typique du droit public français, rejoint celle de l'avis du Conseil d’État : un principe, et une exception, au cas par cas, dans le souci de faire en sorte que l'exercice d'une liberté par l'un ne nuise pas à l'exercice de cette même liberté par l'autre, le tout sous le contrôle du juge, garant des libertés publiques)

Le vêtement n'est pas le problème de la laïcité

En 1905, les défenseurs de la laïcité eux-mêmes refusèrent de légiférer sur les vêtements, considérant que cette question était nulle. Comme le dit au "Nouvel Observateur" Jean Baubérot, historien et sociologue, qui a consacré de nombreux travaux à la question de la laïcité, le vêtement n'est pas le problème de la laïcité :

"Dans notre société de consommation, c'est l'apparence qui compte. Or la laïcité est une question de comportement, pas d'apparence. Bien sûr, s'il y avait eu des problèmes de prosélytisme de la part de ces femmes, cela aurait mérité que l'on se penche sur la question. Mais ça n'est pas le cas ! Dans le cadre de la loi de 1905 on a d'ailleurs refusé de légiférer sur le vêtement, qui est laissé à la libre appréciation de chacun. La circulaire Chatel tourne donc le dos à la loi de 1905, en plus de créer un fort ressentiment."

Le FN et l'UMP ont fait le choix de "trianguler" la laïcité, en la retournant contre la gauche et la République, en instrumentalisant une partie de la population érigée en bouc émissaire sociétal permanent.

Cette triangulation permet à l'UMP et au FN, héritiers des droites qui, durant un siècle, ont passé leur temps à combattre la laïcité, à l'entraver et à la rogner (loi de Vichy du 2 novembre 1941, loi Debré 1959, loi Guermeur 1977, tentative d'abroger la loi Falloux menée par François Bayrou en 1993) de muter la laïcité en arme de destruction identitaire. Ce combat culturel est en passe d'être gagné.

Et la gauche a peur

Et que fait la gauche ?

Et la gauche laisse faire.

Et la gauche, le ministre de l’Éducation en tête, Vincent Peillon, n'ose pas abroger la circulaire Chatel.

Et la gauche tremble à l'idée de protéger des faibles et des exclus.

Et la gauche oublie Jaurès et l'esprit de la IIIe République.

Et la gauche a peur de ses propres "laïcistes", partisans d'une sécularisation identitaire, ces alliés objectifs du FN et de l'UMP, qui défendent un athéisme d’État régnant sur l'espace public contraire à la liberté de conscience.

Et la gauche prend le risque se couper d'un électorat potentiel de 5 à 6 millions de citoyens français, tous visés par l'offensive UMP/FN.

Et la gauche a peur... Ce qui est absurde, car si l'on prend en compte toutes les données du problème, il n'y a pas de quoi avoir peur face un problème qui est une construction politique jouant sur les imaginaires et qu'il est facile de déconstruire, pour peu que l'on fasse preuve de la même volonté politique que ses adversaires.

Comme le dit Jean Baubérot : "La gauche est impopulaire, qu'elle soit au moins courageuse !"

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Parents accompagnateurs de sorties scolaires : vers des « accommodements raisonnables » avec la laïcité ?

 

Communiqué commun – UFAL (Union des Familles Laïques), EGALE (Égalité Laïcité Europe), CLR (Comité Laïcité République)

Saisi par le Défenseur des Droits d’une demande d’étude portant, notamment, sur cette question, le Conseil d’État a conclu, le 19 décembre 2013, que : « les exigences liées au bon fonctionnement du service public de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents d’élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ».

La Haute Juridiction s’est clairement refusée à définir une catégorie de « collaborateurs occasionnels du service public ». Elle estime donc que les parents accompagnateurs ne peuvent être soumis à l’obligation de neutralité. Or le seul « bon fonctionnement des services » ne saurait suffire à justifier la mise à l’écart des parents accompagnateurs manifestant ostensiblement leur religion : en cas de recours judiciaire, il faudrait prouver la proportionnalité de la mesure. Comment soutenir que le port d’un voile perturberait le service ? En réalité, le Conseil d’État a choisi de faire fi du principe de laïcité de l’école publique, qui est incontestablement en cause s’agissant d’encadrer des élèves en activité scolaire. Cela signifie que les familles qui confient leurs enfants à l’école publique n’auront plus la garantie absolue de la neutralité de son cadre, ni de l’égalité de traitement entre tous les enfants.

Certes, des limites sont posées, mais de façon si laxe (« peuvent conduire »… « à recommander de s’abstenir ») que la porte est ouverte à tous les « accommodements raisonnables ». La responsabilité en incombant au « chef de service », c’est à dire in fine au chef d’établissement scolaire, qui « pourra » … ou pas « recommander », selon l’intensité des pressions communautaristes de l’endroit. On s’oriente ainsi vers des règles qui varieront d’un département à l’autre.

Surtout, nous prévoyons que la renonciation à la neutralité dans toutes les activités pédagogiques ouvrira la porte à des contestations fondées sur des interdits religieux, des contenus même des enseignements, ou de la mixité, ou de l’égalité filles-garçons.

Nous considérons que la situation ne peut rester en l’état. Elle exige au minimum, à l’image de ce qui a été fait dans les services pénitentiaires avec l’accord du Conseil d’État, une mesure réglementaire, complétant par exemple sur ce point la Charte de la Laïcité.

Signataires du communiqué de presse :
UFAL (Union des Familles Laïques)
EGALE (Égalité Laïcité Europe)
CLR (Comité Laïcité République)

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«La Haute Juridiction s’est clairement refusée à définir une catégorie de "collaborateurs occasionnels du service public". Elle estime donc que les parents accompagnateurs ne peuvent être soumis à l’obligation de neutralité. Or le seul "bon fonctionnement des services" ne saurait suffire à justifier la mise à l’écart des parents accompagnateurs manifestant ostensiblement leur religion...»

Ce refus de la Cour d'Etat ne tient pas compte du fait que la sollicitation des parents pour accompagner les élèves (et non seulement des enfants) est rendue nécessaire par l'insuffisance des moyens alloués à l'Education nationale. Si la rénovation Peillon de l'Ecole avait les moyens de ses ambitions, lesquelles ne sont pas toutes mauvaises, loin de là, notamment le projet de proposer à tous les élèves un accès à des activités culturelles jusqu'ici hors de leur portée car hors de prix, ce recours à des parents accompagnateurs ne serait pas nécessaire. Et s'il ne l'était pas, il serait fait appel à des personnels qualifiés, embauchés et rémunérés, lesquels dès lors devraient sans l'ombre d'un doute se soumettre au principe de neutralité. Il est donc logique que les parents accompagnateurs, bien que bénévoles, s'y soumettent eux aussi puisqu'ils remplacent ces professionnels. Une fois de plus, on mesure combien la politique économique du gouvernement va à l'encontre de ses promesses sociales, et combien elle fragilise la République.