Vincent Peillon dégraisse-t-il le mammouth?

Non, pas du tout, pour Vincent Peillon il ne s’agit pas de « dégraisser le mammouth » !

Et pourtant l’entreprise menée par Vincent Peillon est bien la même que celle de Claude Allègre (1997-2000), en dépit de certaines apparences contraires, telle la création de 60.000 postes d’enseignants, en dépit aussi des bonnes manières et du doigté du réformateur des rythmes scolaires qui faisaient totalement défaut au ministre balourd et méprisant de Lionel Jospin. On s’en assurera en visionnant cette vidéo d’un entretien que V. Peillon accorda à France Info le 23 mai, au lendemain de la publication du Rapport thématique de la Cour des comptes, «Gérer les enseignants autrement» (téléchargeable ici).

L’introduction du rapport de la Cour des comptes commence d’emblée, dès son deuxième paragraphe, par faire de la compétitivité de l’économie française (et de sa prétendue condition sine qua non, la réduction de la dépense publique) l’enjeu premier de son enquête:

«En raison du nombre d’enseignants – 837 000 en 2012, soit près de la moitié des agents publics employés par l’État – et du poids que représente le total de leurs rémunérations – 49,9 Md€1 en 2011, soit 17 % du budget général de l’État et 2,5 % du produit intérieur brut (PIB) –, les décisions concernant leur gestion sont déterminantes pour la compétitivité de l’économie française, pour la cohésion de la société et pour le redressement des comptes publics» (page 9).

Il est certes légitime de la part des comptables des deniers de la nation, dont la principale mission est de contrôler la régularité des comptes publics et la gestion financière des institutions de l’Etat, de juger l’utilisation des moyens alloués par le Parlement à un service public. Néanmoins, c’est un parti pris inacceptable d’évaluer principalement cet usage à son incidence sur la compétitivité économique. La Cour devrait subordonner cette évaluation à la mesure des finalités propres au service public concerné. Or la compétitivité de l’économie française n’entre pas dans les finalités de l’Education nationale, quand bien même il faudrait admettre que le pays est en «guerre économique» selon l’expression de Paul Louis popularisée par Michel Debré. On le croyait à jamais derrière nous le temps de l’embrigadement de l’Ecole au service de la guerre, quand Albert Sarrault, ministre de l’Instruction publique, déclarait au mois de septembre 1915 : «Dans toute la France, l’école sera le centre moral de la Patrie». Et, puisque la Cour des comptes s’engage (page 5) à «tenir compte» des contradictions venant des personnes intéressées par son rapport, qu’elle sache que nous, les professeurs, n’acceptons pas ce retour, que nous n’enrôlerons la jeunesse dans aucune guerre.

Mais de ce rapport, V. Peillon déclare «se réjouir». Il exprime, il est vrai, des réserves et même des critiques quant aux  affirmations de la Cour selon lesquelles le ministère de l'éducation ne souffrirait pas d'un manque de moyens budgétaires ou les moyens alloués au système éducatif auraient été en hausse constante entre 2008 et 2012. Il faut bien au ministre entretenir l’illusion d’une rupture radicale avec le quinquennat de Sarkozy. Il lui faut également se défendre. Mais là encore non sans doigté. Car il souligne avec insistance que le rapport de la Cour des comptes ne saurait viser la politique actuellement engagée étant donné qu’il a été achevé en 2012 (ce qui est faux puisque les rapporteurs indiquent, page 8, que «le projet de rapport soumis à la chambre du conseil a été préparé, puis délibéré les 25 et 28 février 2013» et qu’ils se réfèrent régulièrement au projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République alors en discussion au Parlement).

Nonobstant cette opposition de façade, V. Peillon est d’accord sur l’essentiel avec les rapporteurs de la Cour des comptes, d’accord pour dire que la résolution des difficultés rencontrées par l’Education nationale ne tient pas essentiellement à l’augmentation ou à la réduction des moyens, mais à leur meilleure gestion pour une plus grande réussite des élèves :

 «… le problème n'est pas celui du nombre d'enseignants ou d'une insuffisance de moyens : la réduction du nombre d'enseignants au cours de la révision générale des politiques publiques, comme son augmentation programmée sur cinq ans, sont vaines si elles se font à règles de gestion inchangées. C'est l'utilisation des moyens existants qui pose problème : la gestion des enseignants se caractérise en effet depuis de nombreuses années par de multiples dysfonctionnements (Site de la Cour des comptes, Accueil, Actualités, A la Une – le 23 mai, « Gérer les enseignants autrement », Conclusions).

Or, par «meilleure gestion» ou, plus précisément, par «autre gestion», il ne faut ici rien entendre d’autre que «réformes de structures».

Et nous savons très bien encore le sens de cette expression fameuse et fumeuse : plus de travail et moins de rémunération, et à terme, comme le voulait Allègre, moins de personnel et moins de dépenses budgétaires, bref les réformes exigées par Bruxelles et mises en place par Schröder dont s’est réclamé ouvertement Hollande à Leipzig le 23 mai également (et dont les plus lucides savent depuis longtemps l’influence irrésistible sur le leader du PS. Cf. Politproductions). Mais dans la rhétorique peillonnesque les réformes structurelles s’appellent «les temps scolaires». Sous cette expression censée désigner des questions de pédagogie biochronologique, il y va, et il y va seulement, du temps de travail des personnels.

Oui, ça coûte cher l’éducation nationale, reconnaît Peillon, un sourire aux lèvres, et pourtant nos élèves auraient le moins de temps scolaire de tous les pays de l’OCDE ! Et d’invoquer la réaction de «tout le monde» à ce scandale. La journaliste, Raphaëlle Duchemin, ne s’y trompe pas qui interroge alors le ministre sur sa volonté de redéfinir «le statut d’enseignant», comme le recommande la Cour des comptes.

Sous le couvert hypocrite et équivoque du loisir et/ou d’un temps de concertation accru (vieille lune), il rappelle qu’il a déjà commencé à changer les « obligations de service ». Et il annonce pour l’automne l’«acte II», «une très grande discussion sur le métier d’enseignant, sur les évolutions de carrière». Le ministre agite la carotte que la Cour des comptes a elle même brandie en évoquant la nécessité d’une rémunération majorée pour les « meilleurs » professeurs, alors que bien entendu il ne s’agit là que d’un appeau dont les uns et les autres jouent en prenant les enseignants pour des imbéciles.

Vincent Peillon n’est pas Claude Allègre, nous l’avons dit, du moins quant à la méthode, mais sa «politique» est au fond la même. Et même ses manières, pour être plus raffinées ne sont pas assurément plus respectueuses ni plus efficaces. Les enseignants n’ont pas pardonné à Allègre son insolence et ses insultes à leur encontre, mais ce ministre avait à sa décharge la faconde grossière d’un scientifique besogneux. Il n’est pas certain que le corps enseignant se sentira moins humilié par un philosophe corrompu en un sophiste roublard quand ils découvriront le fond purement comptable de son projet de refondation de l’Ecole dont il n’a invoqué la plus haute Tradition (sous l’assemblée de ses fondateurs, du perchoir du Palais Bourbon) que pour mieux la trahir.

Quant à la discussion annoncée pour l’automne, que le ministre ne se fasse pas trop d‘illusions. Elle se fera sans doute avec les syndicats, qui auraient salué unanimement le changement des obligations de service des professeurs du primaire. Mais elle ne sera probablement pas «grande» car les syndicats se cessent de se déconsidérer depuis la rentrée 2012-2013 par leur suivisme servile. Là non plus l’information ne doit pas bien être faite, je veux dire ne doit pas bien remonter des salles de professeurs vers le sommet. Néanmoins, il est probable que les prochaines élections professionnelles seront pour les syndicats, comme les municipales pour la majorité socialiste, sinon déjà une déroute, à tout le moins un sérieux avertissement…

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«On le croyait à jamais derrière nous le temps de l’embrigadement de l’Ecole au service de la guerre, quand Albert Sarrault, ministre de l’Instruction publique, déclarait au mois de septembre 1915 : "Dans toute la France, l’école sera le centre moral de la Patrie"», écrivez-vous. Eh bien non! Vous le relevez de façon perspicace dans le Rapport de la Cour des comptes, et le Président Hollande l'a confirmé de façon générale lors du discours d'inauguration qu'il a prononcé à l'Elysée sur les cérémonies du centenaire de la Grande Guerre. Elle nous rappelle, a-t-il déclaré, «l'impérieuse nécessité de faire bloc si nous voulons gagner les batailles qui, aujourd'hui, ne sont plus militaires mais économiques, et qui mettent en jeu notre destin et notre place dans le monde»...
 
Voir la vidéo de ce passage de son discours:
 

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Brèves locales Nord, Pas-de-Calais
samedi 21 décembre 2013
Education
Saupoudrage et enfumage

30 postes créés en 2012, plus 252 en 2013, plus 84 en 2014, en tout 366 postes créés par le gouvernement de Hollande contre 3 800 supprimés par celui de Sarkozy…

Le nombre de postes réels supplémentaires d’enseignants pour la rentrée de septembre 2014 dans la région est désormais officiel : 74 pour le premier degré (écoles maternelles et primaires) et 10 pour le second degré (collèges, lycées et lycées professionnels).

Le ministère donne pourtant des chiffres supérieurs car il comptabilise les heures supplémentaires en augmentation comme des postes supplémentaires d’enseignants.

Un mesquin tour de passe-passe pour faire oublier qu’après les 3 800 postes supprimés dans la région sous Sarkozy, le gouvernement socialiste, malgré tout son baratin sur « la priorité pour l’éducation », n’en recrée pas vraiment.