L’oligarchie des incapables : Vive la philo!

Première de couverture de L'oligarchie des incapables par Sophie Coignard et Romain Gubert.

 

La philosophie vieillit finalement peu et plutôt bien, quoi qu’ait pu dire Hegel de sa grisaille. Elle n’a bien souvent pas besoin d’être actualisée pour nous éclairer sur le sens de notre quotidien. C’est plutôt nous qui avons besoin de nous replonger en elle pour le comprendre. À preuve l’actualité de l’analyse de l’oligarchie par Platon dans le Livre VIII de La République que nous publions infra dans la traduction Cousin. Extrait :

« Quel est le caractère de [sa] constitution, et quels sont les défauts que nous lui reprochons? » demanda Glaucon à Socrate.

« Le premier », répondit-il, « est son principe même. Considère en effet ce qui arriverait si l’on choisissait les pilotes de cette façon, d’après le cens, et que l’on écartât le pauvre, bien qu’il fût plus capable de tenir le gouvernail... » (cf. donc infra l’ensemble du passage du Livre VIII consacré à la description de l’oligarchie et de l’homme oligarchique).

Et pour illustrer cette vitalité de la philosophie à travers les millénaires, nous associons en ouverture au texte de Platon deux extraits de L’oligarchie des incapables de Sophie Coignard et Romain Gubert, récemment paru chez Albin Michel. On peut également écouter en bas de page Sophie Coignard sur France Info ou voir ici la récente présentation de cet ouvrage sur France Culture par Sophie Coignard et Romain Gubert.

Gérard Granel disait partager avec Wittgenstein et Aragon une répugnance tenace envers le journalisme. Sans être tenu de faire, comme Hegel, de la lecture du journal sa prière du matin, on doit toutefois reconnaître qu’il y a un journalisme d’investigation indispensable quand il a le courage de révéler les coulisses du pouvoir au lieu de l’encenser. Ici il nous montre exactement ce que dit Platon : l’accaparement du « gouvernail » de l’État par une caste ploutocratique qui nous conduit au naufrage. Et le livre fait mouche si l’on en juge par son succès et par la déclaration de Sarkozy ce jour à Mulhouse qui, au sujet du quotient familial, a retourné l’accusation de « caste » contre l’opposition...

Deux extraits donc, l’un sur l’influence de la cour élyséenne dans le gouvernement du service public (« Vive la philo ! »), l’autre sur « l’argent roi », puis Platon.

 

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« Vive la philo !

Carla Bruni a aussi eu une vie privée. Raphaël Enthoven est le père de son fils Aurélien. Il est aussi un jeune et brillant agrégé de philosophie, version radio et télévision. À Partir de 2008, il obtient une émission quotidienne sur France Culture, intitulée “Les chemins de la connaissance”, et une autre, “Philosophie”, diffusée le dimanche sur Arte.

Il devient incontournable dès qu’il est question de sa discipline. À la rentrée 2010, la réforme du lycée est à peine appliquée, pour les classes de seconde, qu’il faut déjà la changer. Pourquoi ? Luc Chatel, le ministre de l’Éducation, trouve soudain très urgent d’introduire l’enseignement de la philosophie avant la classe de terminale. Il est un peu mal à l’aise pour l’annoncer à ses conseillers. Quelques mois plus tôt, il exigeait de ne rien changer dans cette matière, pour de strictes raisons comptables : on supprime déjà 16 000 postes d’enseignants par an, ce n’est pas le moment de charger la barque en rajoutant des heures d’enseignement.

Mais il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Et là, le ministre n’hésite pas à se contredire : il faut ajouter des heures de philosophie dès la classe de première ! Face à son obstination incompréhensible, les membres de son cabinet s’étonnent. Il finit par leur avouer que ce n’est pas négociable, que c’est un ordre du Président. Sarkozy adepte de Kant et de Descartes ? Personnellement intéressé par le sort de la philosophie au lycée, alors que c’est l’école française tout entière qui est décriée partout, que la crise économique bat son plein, qu’il a mille dossiers plus brûlants les uns que les autres à traiter ? Rue de Grenelle, on a du mal à y croire.

Hum hum. En fait, ce n’est pas le chef de l’État, c’est plutôt son épouse qui y tient. Raphaël, le père de son enfant, auquel elle a dédié une de ses chansons, en fait une affaire personnelle. Aussitôt dit, aussitôt fait. Dès novembre 2010, lors de la Journée mondiale de l’Unesco, Luc Chatel annonce exactement le contraire de ce qu’il prônait six mois plus tôt : l’enseignement de la philosophie avant la terminale.

Quelques mois passent. L’été arrive et le ministre a une nouvelle idée. Il voudrait organiser à Langres, une ville proche de son fief de Chaumont, des rencontres philosophiques sur le même modèle que les “Rendez-vous de l’histoire” créés par Jack Lang à Blois. Et cela presse. La première édition est prévue pour 2011. Y voit-il une manière de plaire en haut lieu ? En tout cas, un comité scientifique est constitué sous la présidence de l’académicien Jean-Luc Marion, grande figure de la discipline. L’été passe dans la félicité, Luc Chatel pour Paris Match avec ses enfants au moment de la rentrée.

Quelques jours avant la manifestation, toutefois, un problème survient. Le comité scientifique apprend que Raphaël Enthoven doit donner une conférence dans le cadre des journées de Langres. Pour ces universitaires, ce chroniqueur multimédia est plus proche de Dechavanne que de Heidegger. “Pour nous, c’était grotesque, raconte un membre du comité, intarissable sur le sujet. C’était un peu comme si nous devions servir de caution à ce... baladin.” Comment faire pour éviter un incident ? Impossible d’annuler l’événement. Les équipes du ministère sont à la peine pour annoncer au Château que le favori ne sera pas le bienvenu... » (Sophie Coignard et Romain Gubert, L’oligarchie des incapables, Albin Michel, La Caste, 5. Les amis de la reine, p. 65-66).

 

« L’argent roi

Nous avons rencontré, parfois, à de multiples reprises, près de deux cents personnes. Hauts fonctionnaires, membres de cabinets ministériels, banquiers, grands patrons, communicants, élus, avocats, magistrats, journalistes, policiers, héritiers de grandes familles, tous racontent à leur manière la même histoire : celle d’un déshonneur. Pourquoi déshonneur ? Parce que depuis les temps de la chevalerie, il est légitime et nécessaire qu’une élite existe. Mais en contrepartie des ses privilèges, celle-ci a des devoirs qu’elle doit assumer. Devoir d’exemplarité, devoir d’intégrité.

Or aujourd’hui, la société française est dominée plus que dirigée par une petite oligarchie, sûre d’elle, qui ignore en général ce qui se fait à l’étranger, qui mouline toujours les mêmes projets de réformes en cherchant un ministre crédule pour les porter et qui, malgré ses discours pontifiants, ne sait plus gouverner.

Ce dévoiement explique en grande partie la situation de quasi-faillite de l’État, le blocage de ses principales administrations et le découragement de nombreux Français, des fonctionnaires aux professions libérales.

Au centre de tout : une passion honteuse, celle de l’argent roi, une obsession du cumul : cumul des positions, des pouvoirs et de ce que Balzac appelait “les places”. Avec, en toile de fond, l’impunité qui a fait du droit à l’incompétence un article non écrit de la Constitution » (Sophie Coignard et Romain Gubert, L’oligarchie des incapables, Albin Michel, Introduction, p. 9-10).

 

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Platon, La nature et les causes de l’oligarchie (République, VIII, 550d-555b)

 

Glaucon : Quelle sorte de constitution entends-tu par oligarchie? demanda-t-il.

Socrate : Le gouvernement, répondis-je, qui est fondé sur le cens, où les riches commandent, et où le pauvre ne 550d participe point au pouvoir.

Je comprends.

Ne dirons-nous pas d’abord comment on passe de la timocratie [le régime de l’honneur - note de Politproductions] à l’oligarchie?

Si.

En vérité, un aveugle même verrait comment se fait ce passage.

Comment?

Ce trésor, dis-je, que chacun emplit d’or, perd la timocratie; d’abord les citoyens se découvrent des sujets de dépense et, pour y pourvoir, ils tournent la loi et lui désobéissent, eux et leurs femmes. 550e

C’est vraisemblable.

Ensuite, j’imagine, l’un voyant l’autre et s’empressant de l’imiter, la masse finit par leur ressembler.

Cela doit être.

À partir de ce point, repris-je, leur passion du gain fait de rapides progrès, et plus ils ont d’estime pour la richesse, moins ils en ont pour la vertu. N’y a-t-il pas en effet entre la richesse et la vertu cette différence que, placées l’une et l’autre sur les plateaux d’une balance, elles prennent toujours une direction contraire?

Si, certainement.

Donc, quand la richesse et les riches sont honorés 551 dans une cité, la vertu et les hommes vertueux y sont tenus en moindre estime.

C’est évident.

Or, on s’adonne à ce qui est honoré, et l’on néglige ce qui est dédaigné.

Oui.

Ainsi, d’amoureux qu’ils étaient de la victoire et des honneurs, les citoyens finissent par devenir avares et cupides; ils louent le riche, l’admirent, et le portent au pouvoir, et ils méprisent le pauvre.

C’est vrai.

Alors ils établissent une loi qui est le trait distinctif 551b de l’oligarchie : ils fixent un cens, d’autant plus élevé que l’oligarchie est plus forte, d’autant plus bas qu’elle est plus faible, et ils interdisent l’accès des charges publiques à ceux dont la fortune n’atteint pas le cens fixé. Ils font passer cette loi par la force des armes, ou bien, sans en arriver là, imposent par l’intimidation ce genre de gouvernement. N’est-ce pas ainsi que les choses ont lieu?

Si.

Voilà donc à peu près comment se fait cet établissement.

Oui, dit-il; mais quel est le caractère de cette constitution 551c, et quels sont les défauts que nous lui reprochons?

Le premier, répondis-je, est son principe même. Considère en effet ce qui arriverait si l’on choisissait les pilotes de cette façon, d’après le cens, et que l’on écartât le pauvre, bien qu’il fût plus capable de tenir le gouvernail...

La navigation en souffrirait, dit-il.

Et ne serait-ce pas le cas d’un commandement quelconque?

Je le crois.

A l’exception du commandement d’une cité, ou y compris aussi celui-là?

Celui-là surtout, répondit-il, d’autant plus qu’il est le plus difficile et le plus important.

551d L’oligarchie aura donc, d’abord, ce défaut capital.

Apparemment.

Mais quoi ! le défaut que voici est-il moindre?

Lequel?

Il y a nécessité qu’une pareille cité ne soit pas une mais double, celle des pauvres et celle des riches, qui habitent le même sol et conspirent sans cesse les uns contre les autres.

Non, par Zeus ! ce défaut n’est pas moindre que le premier.

Ce n’est pas non plus un avantage pour les oligarques que d’être dans la presque impossibilité de faire la guerre, parce qu’il leur faudrait ou bien armer la multitude, et la craindre plus que l’ennemi, ou bien, en se passant 551e d’elle, se montrer vraiment oligarchiques dans le combat même; de plus, ils ne voudront point contribuer aux dépenses de la guerre, étant jaloux de leurs richesses.

Non, ce n’est pas un avantage.

Et ce que nous avons blâmé tout à l’heure, la multiplicité des occupations - agriculture, commerce, guerre 552 - auxquelles se livrent les mêmes personnes dans une telle cité, est-ce un bien à ton avis?

Pas le moins du monde.

Vois maintenant si de tous ces maux celui-ci n’est pas le plus grand dont, la première, l’oligarchie se trouve atteinte.

Lequel?

La liberté qu’on y laisse à chacun de vendre tout son bien, ou d’acquérir celui d’autrui, et, quand on a tout vendu, de demeurer dans la cité sans y remplir aucune fonction, ni de commerçant, ni d’artisan, ni de cavalier, ni d’hoplite, sans autre titre que celui de pauvre et d’indigent.

Cette constitution est en effet la première qui soit 552b atteinte de ce mal.

On ne prévient point ce désordre dans les gouvernements oligarchiques, autrement les uns n’y seraient pas riches à l’excès et les autres dans un complet dénuement.

C’est vrai.

Considère encore ceci. Lorsqu’il était riche et dépensait son bien, cet homme était-il plus utile à la cité, dans les fonctions dont nous venons de parler? Ou bien, tout en passant pour l’un des chefs, n’était-il en réalité ni chef ni serviteur de l’État, mais simplement dissipateur de son bien?

Oui, dit-il, tout en passant pour l’un des chefs, il n’était 552c rien d’autre qu’un dissipateur.

Veux-tu donc que nous disions d’un tel homme que, comme le frelon naît dans une cellule pour être le fléau de la ruche, il naît, frelon lui aussi, dans une famille pour être le fléau de la cité?

Certainement, Socrate.

Mais n’est-il pas vrai, Adimante, que Dieu a fait naître sans aiguillons tous les frelons ailés, au lieu que, parmi les frelons à deux pieds, si les uns n’ont pas d’aiguillon, les autres en ont de terribles? A la première classe appartiennent ceux qui meurent indigents dans leur vieil âge, 552d à la seconde tous ceux qu’on nomme malfaiteurs.

Rien de plus vrai.

Il est donc évident, repris-je, que toute cité où tu verras des pauvres recèle aussi des filous, des coupe-bourses, des hiérosules, et des artisans de tous les crimes de ce genre.

C’est évident, dit-il.

Or, dans les cités oligarchiques ne vois-tu pas des pauvres?

Presque tous les citoyens le sont, à l’exception des chefs.

552e Par conséquent ne devons-nous pas croire qu’il y a aussi dans ces cités beaucoup de malfaiteurs pourvus d’aiguillons, que les autorités contiennent délibérément par la force?

Nous devons le croire.

Et ne dirons-nous pas que c’est l’ignorance, la mauvaise éducation, et la forme du gouvernement qui les y ont fait naître?

Nous le dirons.

Tel est donc le caractère de la cité oligarchique, tels sont ses vices, et peut-être en a-t-elle davantage.

Peut-être.

Mais considérons comme terminé le tableau de cette 553 constitution qu’on appelle oligarchie, où le cens fait les magistrats, et examinons l’homme qui lui répond, comment il se forme, et ce qu’il est une fois formé.

J’y consens.

N’est-ce pas justement de cette manière qu’il passe de l’esprit timocratique à l’esprit oligarchique?

Comment?

Le fils de l’homme timocratique imite d’abord son père et marche sur ses traces; mais ensuite, quand il le voit se briser soudain contre la cité, comme contre un écueil, 553b et, après avoir prodigué sa fortune et s’être prodigué lui-même à la tête d’une armée ou dans l’exercice d’une haute fonction, échouer devant un tribunal, outragé par des sycophantes, condamné à la mort, à l’exil, ou à la perte de son honneur et de tous ses biens...

C’est chose ordinaire, dit-il.

Voyant, mon ami, ces malheurs et les partageant, dépouillé de son patrimoine et pris de crainte pour lui-même, il renverse vite, je pense, du trône qu’il leur avait élevé en son âme l’ambition et l’élément courageux; 553c puis, humilié par sa pauvreté, il se tourne vers le négoce, et petit à petit, à force de travail et d’épargnes sordides, il amasse de l’argent. Ne crois-tu pas qu’alors il placera sur ce trône intérieur l’esprit de convoitise et de lucre, qu’il en fera en lui un grand Roi, le ceignant de la tiare, du collier et du cimeterre?

Je le crois.

Quant aux éléments raisonnable et courageux, il les place à terre, j’imagine, de part et d’autre de ce Roi, et, 553d les ayant réduits en esclavage, il ne permet point que le premier ait d’autres sujets de réflexion et de recherche que les moyens d’accroître sa fortune, que le second admire et honore autre chose que la richesse et les riches, et mette son point d’honneur ailleurs qu’en la possession de grands biens et de ce qui peut les lui procurer.

Il n’y a pas, dit-il, d’autre voie par laquelle un jeune homme puisse passer plus rapidement et plus sûrement de l’ambition à l’avarice.

553e Dès lors, demandai-je, cet homme n’est-il pas un oligarque?

Assurément, au moment où le changement est survenu il était semblable à la constitution d’où est sortie l’oligarchie.

Examinons donc s’il ressemble à celle-ci.

554 Examinons.

Et d’abord ne lui ressemble-t-il pas par le très grand cas qu’il fait des richesses?

Certes.

Il lui ressemble encore par l’esprit d’épargne et d’industrie; il satisfait uniquement ses désirs nécessaires, s’interdit toute autre dépense, et maîtrise les autres désirs qu’il regarde comme frivoles.

C’est l’exacte vérité.

Il est sordide, poursuivis-je, fait argent de tout et ne 554b songe qu’à thésauriser - c’est enfin un de ces hommes que loue la multitude. Mais tel, n’est-il pas semblable au gouvernement oligarchique?

Il me le semble, répondit-il. En tout cas, comme ce gouvernement, il honore surtout les richesses.

Sans doute, repris-je, cet homme n’a guère songé à s’instruire.

Il n’y a pas d’apparence; autrement il n’aurait pas pris un aveugle pour conduire le choeur de ses désirs, et ne l’honorerait pas par-dessus tout.

Bien dis-je; mais considère ceci. Ne dirons-nous pas que le manque d’éducation a fait naître en lui des désirs

554c de la nature du frelon, les uns mendiants, les autres malfaisants, que contient de force sa sollicitude pour un autre objet?

Si, certainement.

Or sais-tu où tu dois porter les yeux pour apercevoir la malfaisance de ces désirs?

Où? demanda-t-il.

Regarde-le quand il est chargé de quelque tutelle, ou de quelque autre commission où il a toute licence de mal faire.

Tu as raison.

Et cela ne met-il pas en évidence que, dans les autres engagements, où il est estimé pour une apparence de justice, il contient ses mauvais désirs par une sorte de 554d sage violence, non pas en les persuadant qu’il vaut mieux ne pas leur céder, ni en les adoucissant au moyen de la raison, mais en pesant sur eux par contrainte et par peur, car il tremble pour ce qu’il a.

C’est chose certaine, dit-il.

Mais par Zeus ! mon ami, quand il s’agira de dépenser le bien d’autrui, tu trouveras chez la plupart de ces gens-là des désirs qui s’apparentent au naturel du frelon.

Cela ne fait aucun doute.

Un tel homme ne sera donc pas exempt de sédition au dedans de lui-même; il ne sera pas un, mais double. Néanmoins, le plus souvent ses meilleurs désirs maîtriseront 554e les pires.

C’est exact.

Aussi aura-t-il, je pelée, un extérieur plus digne que beaucoup d’autres; mais la vraie vertu de l’âme unie et harmonieuse fuira loin de lui.

Je le crois.

Et certes, cet homme parcimonieux est un piètre jouteur dans les concours de la cité où se dispute entre 555 particuliers une victoire ou quelque autre honneur; il ne veut point dépenser de l’argent pour la gloire qui s’acquiert dans ces sortes de combats; il redoute de réveiller en lui les désirs prodigues et de les appeler à son secours pour vaincre : en véritable oligarque, il ne lutte qu’avec une faible partie de ses forces, et la plupart du temps il a le dessous, mais il conserve ses richesses.

C’est vrai, dit-il.

Douterons-nous encore que ce parcimonieux, cet homme d’argent, se range auprès de la cité oligarchique en raison 555b de sa ressemblance avec elle?

Nullement, répondit-il.

Platon, La République, Livre VIII, 551 c-555 b, traduction Victor Cousin, Œuvres Complètes de Platon, Tome dixième, Rey et Gravier, Libraires, 1934.

Cf. sur Politproductions.com Quand le tyran est élu (article sur le passage du Livre VIII consacré à la tyrannie, dans lequel on trouvera également un lien vers la traduction Victor Cousin de l'intégralité de La République).

 

Sophie Coignard au micro de Jean Leymarie (France Info, 5/1/2012) pour la parution de L'oligarchie des incapables :

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29.700 chômeurs supplémentaires en décembre, 171.300 en plus sur 2011.

En décembre, le nombre de demandeurs d'emploi en catégorie A (c'est-à-dire n'ayant exercé aucune activité pendant le mois) a augmenté de 29.700, après 29.900 en novembre. Sur l'ensemble de 2011, leur nombre a grimpé de 171.300, soit la troisième plus forte hausse depuis 2000.

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Montesquieu soutient le commerce qui à son époque se libère en tous sens. «Son effet naturel», écrit-il dans L'esprit des lois, «est de porter à la paix». Mais Montesquieu partage encore suffisamment l'esprit des Anciens pour savoir aussi que le trafic de toutes choses détruit le propre de l'humanité : la vertu. Elle est, dit-il dans le texte suivant, le principal soutien des Républiques qui disparaît quand le trésor public devient la propriété des particuliers. D'une actualité brulante.

Il ne faut pas beaucoup de probité, pour qu’un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintiennent ou se soutiennent. La force des lois dans l’un, le bras du prince toujours levé dans l’autre, règlent ou contiennent tout. Mais, dans un état populaire, il faut un ressort de plus qui est la vertu.

Ce que je dis est confirmé par le corps entier de l’histoire, et est très conforme à la nature des choses. Car il est clair que dans une monarchie, où celui qui fait exécuter les lois se juge au-dessus des lois, on a besoin de moins de vertu que dans un gouvernement populaire, où celui qui fait exécuter les lois sent qu’il y est soumis lui-même, et qu’il en portera le poids.

Il est clair encore que le monarque qui, par mauvais conseil ou par négligence, cesse de faire exécuter les lois, peut aisément réparer le mal ; il n’a qu’à changer de conseil, ou se corriger de cette négligence même. Mais lorsque, dans un gouvernement populaire, les lois ont cessé d’être exécutées, comme cela ne peut venir que de la corruption de la république, l’état est déjà perdu.

Ce fut un assez beau spectacle dans le siècle passé, de voir les efforts impuissants des Anglais pour établir parmi eux la démocratie. Comme ceux qui avaient part aux affaires n’avaient point de vertu, que leur ambition était irritée par le succès de celui qui avait le plus osé1, que l’esprit d’une faction n’était réprimé que par l’esprit d’une autre ; le gouvernement changeait dans cesse ; le peuple étonné cherchait la démocratie, et ne la trouvait nulle part. Enfin, après bien des mouvemens, des chocs et des secousses, il fallut se reposer dans le gouvernement même qu’on avait proscrit.

Quand Sylla voulut rendre à Rome la liberté, elle ne put plus la recevoir ; elle n’avait plus qu’un faible reste de vertu : et comme elle en eut toujours moins, au lieu de se réveiller après César, Tibere, Caïus, Claude, Néron, Domitien, elle fut toujours plus esclave ; tous les coups portèrent sur les tyrans, aucun sur la tyrannie.

Les politiques Grecs qui vivaient dans le gouvernement populaire, ne reconnaissaient d’autre force qui pût le soutenir, que celle de la vertu. Ceux d’aujourd'hui ne nous parlent que de manufactures, de commerce, de finances, de richesses et de luxe même.

Lorsque cette vertu cesse, l’ambition entre dans les cœurs qui peuvent la recevoir, et l’avarice entre dans tous. Les désirs changent d’objets ; ce qu’on aimait, on ne l’aime plus ; on était libre avec les lois, on veut être libre contre elles ; chaque citoyen est comme un esclave échappé de la maison de son maître ; ce qui était maxime, on l’appelle rigueur ; ce qui était règle, on l’appelle gêne ; ce qui était attention, on l’appelle crainte. C’est la frugalité qui y est l’avarice, et non pas le désir d’avoir. Autrefois le bien des particuliers faisait le trésor public, mais pour lors le trésor public devient le patrimoine des particuliers. La république est une dépouille ; et la force n’est plus que le pouvoir de quelques citoyens et la licence de tous.

Montesquieu, De l'esprit des lois (1748), Livre III, Chapitre 3.

1 Cromwell.