Comment les princes doivent tenir leur parole

Le lion et le renard

« Mais qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?! » a déclaré N. Sarkozy interrogé à Bruxelles le 19/06/2009 sur les derniers rebondissements de l’affaire de l’attentat de Karachi en 2002.

On croyait le Président de la République étranger à la lecture des classiques. Sa réaction dans l’affaire de « l’attentat de Karachi » semble indiquer qu’il a au moins potassé son petit Machiavel illustré. Quoi qu’il en soit du rôle qu’il a pu jouer dans cette affaire en cours d’instruction, nous pouvons conclure qu’en trahissant sa promesse (après tant d’autres) de recevoir les familles des victimes (« Nicolas Sarkozy a refusé récemment de nous recevoir », Sandrine Leclerc, porte-parole de sept de ces familles - cf. France 24), il a fait preuve de cette prudence toute cynique (celle du renard d’après Le Prince) que Machiavel opposait à la bonté, à la fidélité et et à la franchise dont l’idéal pratique était censé guider les "démagogues" antiques animés par une tout autre conception de la prudence.

Relisons le célèbre chapitre XVIII de cet ouvrage intitulé « Comment les princes doivent tenir leur parole ». On y retrouvera bien des traits de notre Président, de la « considération » exclusive du « « résultat » « à l’art de « séduire » le peuple par « l’événement et l’apparence » ou de « colorer l’inexécution de ce qu’il lui a promis ».

Machiavel conclut : « Le petit nombre n’est écouté que lorsque le plus grand ne sait quel parti prendre ni sur quoi asseoir son jugement. » La plupart d’entre nous ont déjà atteint ce premier degré du savoir à l’égard des socialistes. Espérons que le show sarkozien, qui ne soulève déjà plus l’enthousiasme de l’UMP, se révèle dans les mois prochains si absurde, si « ridicule » au regard de la fortune (à laquelle la prudence moderne s’en remet faute de principe pratique mais qui « a toujours meilleur advis que nous ») que le grand nombre en vienne lui-même à mesurer tout la vanité de la majorité actuelle et tende enfin l’oreille vers ceux qui la dénoncent depuis toujours. Et qu’enfin une véritable opposition de lève et se forme. Avant que la ruse du renard ne le cède à la force du lion... voire à la violence des loups.

 

« Le Prince - Chapitre 18 (extraits)
Comment les princes doivent tenir leur parole

Chacun comprend combien il est louable pour un prince d’être fidèle à sa parole et d’agir toujours franchement et sans artifice. De notre temps, néanmoins, nous avons vu de grandes choses exécutées par des princes qui faisaient peu de cas de cette fidélité et qui savaient en imposer aux hommes par la ruse. Nous avons vu ces princes l’emporter enfin sur ceux qui prenaient la loyauté pour base de toute leur conduite. On peut combattre de deux manières : ou avec les lois, ou avec la force. La première est propre à l’homme, la seconde est celle des bêtes ; mais comme souvent celle-là ne suffit point, on est obligé de recourir à l’autre : il faut donc qu’un prince sache agir à propos, et en bête et en homme. […] […] un prince doit avoir en quelque sorte ces deux natures, et que l’une a besoin d’être soutenue par l’autre. Le prince devant donc agir en bête, tâchera d’être tout à la fois renard et lion : car, s’il n’est que lion, il n’apercevra point les pièges ; s’il n’est que renard, il ne se défendra point contre les loups ; et il a également besoin d’être renard pour connaître les pièges, et lion pour épouvanter les loups. Ceux qui s’en tiennent tout simplement à être lions sont très malhabiles. Un prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait nuisible, et que les raisons qui l’ont déterminé à promettre n’existent plus : tel est le précepte à donner. Il ne serait pas bon sans doute, si les hommes étaient tous gens de bien ; mais comme ils sont méchants, et qu’assurément ils ne vous tiendraient point leur parole, pourquoi devriez-vous leur tenir la vôtre ? Et d’ailleurs, un prince peut-il manquer de raisons légitimes pour colorer l’inexécution de ce qu’il a promis ? À ce propos on peut citer une infinité d’exemples modernes, et alléguer un très grand nombre de traités de paix, d’accords de toute espèce, devenus vains et inutiles par l’infidélité des princes qui les avaient conclus. On peut faire voir que ceux qui ont su le mieux agir en renard sont ceux qui ont le plus prospéré. Mais pour cela, ce qui est absolument nécessaire, c’est de savoir bien déguiser cette nature de renard, et de posséder parfaitement l’art et de simuler et de dissimuler. Les hommes sont si aveugles, si entraînés par le besoin du moment, qu’un trompeur trouve toujours quelqu’un qui se laisse tromper. […] Ainsi donc, pour en revenir aux bonnes qualités énoncées ci-dessus, il n’est pas bien nécessaire qu’un prince les possède toutes ; mais il l’est qu’il paraisse les avoir. J’ose même dire que s’il les avait effectivement, et s’il les montrait toujours dans sa conduite, elles pourraient lui nuire, au lieu qu’il lui est toujours utile d’en avoir l’apparence. Il lui est toujours bon, par exemple, de paraître clément, fidèle, humain, religieux, sincère ; il l’est même d’être tout cela en réalité : mais il faut en même temps qu’il soit assez maître de lui pour pouvoir et savoir au besoin montrer les qualités opposées. On doit bien comprendre qu’il n’est pas possible à un prince, et surtout à un prince nouveau, d’observer dans sa conduite tout ce qui fait que les hommes sont réputés gens de bien, et qu’il est souvent obligé, pour maintenir l’État, d’agir contre l’humanité, contre la charité […]. Il faut donc qu’il ait l’esprit assez flexible pour se tourner à toutes choses, selon que le vent et les accidents de la fortune le commandent ; il faut, comme je l’ai dit, que tant qu’il le peut il ne s’écarte pas de la voie du bien, mais qu’au besoin il sache entrer dans celle du mal. Il doit aussi prendre grand soin de ne pas laisser échapper une seule parole qui ne respire les cinq qualités que je viens de nommer ; en sorte qu’à le voir et à l’entendre on le croie tout plein de douceur, de sincérité, d’humanité, d’honneur, et principalement de religion, qui est encore ce dont il importe le plus d’avoir l’apparence : car les hommes, en général, jugent plus par leurs yeux que par leurs mains, tous étant à portée de voir, et peu de toucher. Tout le monde voit ce que vous paraissez ; peu connaissent à fond ce que vous êtes, et ce petit nombre n’osera point s’élever contre l’opinion de la majorité, soutenue encore par la majesté du pouvoir souverain. Au surplus, dans les actions des hommes, et surtout des princes, qui ne peuvent être scrutées devant un tribunal, ce que l’on considère, c’est le résultat. Que le prince songe donc uniquement à conserver sa vie et son État : s’il y réussit, tous les moyens qu’il aura pris seront jugés honorables et loués par tout le monde. Le vulgaire est toujours séduit par l’apparence et par l’événement : et le vulgaire ne fait-il pas le monde ? Le petit nombre n’est écouté que lorsque le plus grand ne sait quel parti prendre ni sur quoi asseoir son jugement. […] »

Commentaire(s)

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Selon l'AFP de source judiciaire, Nicolas Sarkozy fait l'objet d'une enquête à la demande de trois juges d'instruction qui voudraient savoir si l'ex-président s'est rendu complice d'une violation du secret de l'instruction lors de la diffusion par l'Elysée, le 22 septembre 2011, du communiqué suivant sur l'affaire Karachi: «s'agissant de l'affaire dite de Karachi, le nom du chef de l'Etat n'apparaît dans aucun des éléments du dossier».

Cette procédure fait suite à la demande des familles de victimes de l'attentat de Karachi (2002) qui avaient porté plainte le 18 juin 2012 contre l'ancien chef de l'Etat quand parut ce communiqué de l'Elysée, peu après les mises en examen successives de deux proches du chef de l'Etat, Thierry Gaubert et Nicolas Bazire, dans le volet financier de l'affaire Karachi.

Gageons que Sarkozy fera meilleur accueil aux juges qu'aux familles des victimes que, contrairement à la promesse qu'il leur avait faite, il refusa de recevoir à partir du moment où, fin 2008, la piste politico-judiciaire vint au grand jour. Il ne peut plus en effet invoquer le prétexte de la séparation des pouvoirs qu'il avait alors opposé aux familles des victimes.

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Le parquet de Paris a fait appel de la décision de juges d'enquêter pour déterminer si Nicolas Sarkozy s'était rendu complice d'une violation du secret de l'instruction lors de la diffusion en 2011 d'un communiqué sur l'affaire Karachi, a-t-on appris lundi de source judiciaire.