- mer, 2018-04-04 19:56
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O. BAULNY, années 70. Photo prise Place Clémenceau à PAU.
Descartes, le philosophe au masque. Hommage à Olivier BAULNY (1928-1999)
À l’occasion du 350e anniversaire du Discours de la Méthode (1637)
Six émissions radiophoniques animées par Olivier BAULNY en compagnie de Fabien Grandjean – en 1987 à l’antenne de Ràdio País Béarn.
Olivier BAULNY en compagnie de ses collègues - Juin 1991 - Départ à la retraite - Coarraze 64800. Photo Anne Théveniaud.
Originaire de l’Est de la France (une commune de la Meuse porte le nom de Baulny), Olivier Baulny fut nommé professeur de philosophie à la fin des années 50 dans le Sud Ouest, très exactement à Pau, au lycée Louis Barthou. Il appartenait à cette génération influencée par le premier essor des sciences humaines, de la philosophie des sciences et de l’histoire des idées : Georges Gusdorf, qui devait bientôt dominer l’Université de Strasbourg, Jean Piaget, Georges Canguilhem, Gaston Bachelard, Alexandre Koyré, Michel Foucault…
Sa démarche méthodologique ne fut pas celle d’un professeur « enseignant du haut de la chaire », assignant le particulier à l’Universel tombé d’un ciel jacobin et moins encore métaphysique. Son Descartes n’est pas celui de Martial Gueroult bien qu’il lui emprunte l’exigence de suivre l’ordre des raisons. Il se construit historiographiquement. Du reste la méthode de Baulny est davantage historienne que philosophique ; elle fut de montrer comment le particulier, voire le singulier nourrissaient l’Universel. Historien local d’abord, mais pas seulement, régional, national et international, par rhizomes et ramifications. Une trentaine de publications à son actif, par exemple Sept études sur Bernadotte et l’indépendance de l’Amérique espagnole (Pau, Empreinte, 1984). La note qui suit ces études, sur Oscar II et le Béarn, donnera une idée de la manière de travailler d’Olivier Baulny.
C’est pourquoi on ne trouvera pas non plus d’Occitanisme radical chez Baulny. Aucune défense d’un Occitan tombé du ciel, ou, comme on voudra, entièrement reconstitué, normalisé, celui de Sèrgi Javaloyès, du parti occitan de David Grosclaude et consorts, le jargon infect que l’on peut entendre quotidiennement dans les journaux de R. País et qui n’a jamais été que l’instrument de l’arrivisme politique de ses promoteurs, bien qu’ils s’en défendent aujourd’hui[1]. Cet occitan se comprend comme un mélange de locutions et de tournures françaises, castillanes, catalanes « occitanisées » par une accentuation artificielle, sur une base grammaticale sommaire, très facilement[2]. Il en va tout autrement avec l’Occitan du poète Roger Lapassade, fondateur de l’Association Per Nouste, ou de Gilabèrt Nariòo, autodidacte très cultivé qui, lui, savait "la mode" des dictionnaires mais qui la laissa cependnat nous éloigner des contes qu'il racontait si bien, du philosophe linguiste Michel Grosclaude, coreligionnaire de Baulny, créateur de la brillante émission radiophonique lo Cercanoms (du moins tant que la tentation politique ne les a pas soumis à leur tour à la vaine tentative de reconstituer la langue unique, voire de la « fabriquer » au moyen d'un Dictionnaire Français Occitan, pour rattraper et combler des décennies, en vérité des sièces de stérilité forcée)[3]. Là on se heurte à la richesse d’une langue. Si cet Occitan-là, impénétrable à l’oreille profane, peut être encore dit « radical », alors c’est encore au sens du rhizome, de la genèse de l’universel à partir de la diversité linguistique enfouie dans les racines familiales des Béarnais, entre autres. Marilis Orionaa illustre la défense généalogique et poétique de cet Occitan dans ses chansons et dans ses textes.
Olivier BAULNY, enouré de ses élèves, lycée Louis Barthou, jour de carnaval, années 69-70.
Mais le Béarnais est peu reconnaissant, pour ne pas dire ingrat. Nul hommage. Pas une notice biographique sur l’Ami Baulny dans aucune bibliothèque de Pau, pas une ligne, pas un mot sur Ràdio País, une totale amnésie des centaines voire des milliers d’élèves qu’il a formés en 30 années de carrière à Pau, particulièrement choquante de la part de ceux qui étaient venus le chercher pour les aider à lancer Ràdio País, en 1983, aux premiers temps des Radios Libres. Il a pourtant laissé à cette station de belles émissions sur la Révolution Française et tous ses thèmes de prédilection.
Pour en revenir à celle qui doit nous occuper à présent, que l’on sache que nous avons fouillé nos propres archives pour l’exhumer, non sans mal. Je n’en dirai que deux choses.
Olivier était de 30 ans mon aîné, et cependant la jeunesse devait m’amener à ferrailler contre lui, au bord souvent de l’impertinence. Dans la première émission je parviens à faire valoir la ligne historiale (joignant Platon à Descartes et dont cet échange peut paradoxalement rendre compte) que je défends contre le découpage historique qu’il suit rigidement : Olivier finit pas reconnaître à juste titre en Descartes le fondateur du monde du calculable, de la production, sans que je me montre capable de le suivre à ce moment-là. Ensuite, il se fermera hélas à cette idée directrice.
Ces émissions ne révolutionneront pas l’Histoire de la philosophie, loin s’en faut, mais j’ai tenu à les publier pour rendre un hommage à Olivier Baulny, pour réparer une injustice, pour t’éviter, Olivier, cette seconde mort, dont traite magnifiquement Coco, le dernier film d’animation de Disney Pixar, réalisé par Lee Unkrich et Adrian Molina, disparition définitive qui survient par l’oubli des défunts. Car l'humilité de cet homme fut telle qu'on ne sait presque rien de lui, il n'a jamais rien écrit sur lui-même, s'effaçant, se confondant peut-être même avec sa vocation d'éveilleur et les textes qu'il écrivit pour les autres. Son ex libris, clin d'œil au Béarn, dit de quel genre d'homo loquens il était : goumand de culture. On ne le comprenait pas toujours, on s'irritait même parfois de ce trait. Bien à tort. Mais pour conjurer l'oubli nous avons là sa voix et quelques photos.
Fabien Grandjean, Nice, avril 2018.
[1] « Mon métier n’est pas la politique », écrit David Grosclaude sans rire dans un « À propos », sur son Blog. « J’ai fait des choses bien différentes avant d’être élu il y a cinq ans au Conseil Régional d’Aquitaine. Je suis membre du Parti Occitan et j’ai été conseiller régional d’Aquitaine de 2010 à 2015. Je siège aujourd’hui au bureau de l’Alliance Libre Européenne (ALE/EFA) comme vice-président pour y représenter le Parti Occitan. » Bien entendu, il n’y a rien de politique là-dedans. « J’ai été journaliste, pour la radio, la télévision et la presse écrite. J’ai dirigé aussi pendant quinze ans une petite entreprise coopérative (SCOP) de cinq salariés, que j’avais créée avec d’autres personnes qui voulaient vivre de leur travail en Béarn. J’ai eu, et j’ai encore des activités associatives. », etc. Oui, il a fait tout cela et bien d’autres choses encore sans doute. Mais à quelle fin ? Ils en sont tous là ces politiciens : à se justifier de l’être voire à dénier qu’ils le sont. Pas facile, le Français a la tête près du bonnet, disait Hegel.
[2] Contrairement à son sens obvie le « jargon » se comprend aisément, explique Kafka dans son Discours sur la langue yiddish, autre langue martyre, non sans provoquer un sentiment de peur toutefois aussitôt compensée par la confiance que procure l’intime communion d’une provenance immémoriale. Ainsi s’étonne-t-il lors d’une représentation en yiddish de comprendre le haut allemand qu’il ignore. C’est grâce à l’âme qui anime cette langue à deux niveaux : hébréo-araméenne et diasporique. Freud parlera à propos des profondeurs de l’âme de leur inquiétante étrangeté née de leur intime proximité et de leur angoissante « extimité » (Lacan). Mais quelle âme dans cet amalgame faussement vernaculaire de vocables et de syntagmes ? On croirait qu’il s’agit de ressusciter un mort ! Mais il n’y a pas là de défunt, pas de cadavre, juste une fantasmagorie nourrie pour partie d’un ressentiment compréhensible dû au déracinement et pour partie d’une ambition pro domo. Avec le Yiddish on a affaire à une langue primitive éclatée, dispersée et recueillie dans sa diversité diasporique. Avec l’Occitan authentique on a directement affaire à une diversité primitive censurée et avortée avant même sa formation unifiée qui désormais se recueille dans l’unité d’un travail de mémoire.
Mais la censure continue de s’exercer et de peser sur ce travail, Marilis Orionaa s’en plaint. Parmi les censeurs, on ne trouve pas seulement le parti occitan, les occitanistes ou Ràdio País, mais également François Bayrou, nous dit Marilis. Mais comment s’en étonner ? Cet héritier de la démocratie chrétienne, formé notamment avant d’être élu député des P.A. à Bruxelles, de 1984 à 1986, en tant que conseiller du président du Parlement européen Pierre Pflimlin, vieux routier, vieux roublard M.R.P. multi-rateliers, ne pouvait à si bonne école, malgré ses origines paysannes revendiquées, et en raison de ses ambitions déclarées, que servir le jacobinisme bordolo-parisien, et ce dans une alliance objective avec ces autres représentants du jacobinisme que sont les Occitanistes. Il en va ainsi en France quand tu n’agis politiquement que pour ton compte. Tu n’as plus le choix quand tu as vendu ton âme. Plus tard, il fera nommer à Pau des professeurs, certes d’origine béarnaise, dont sa fille, mais formés pour ne pas dire formatés, refoulés et cependant toujours méprisés « là-haut », par la culture centralisée pour lisser le lycée et centraliser à leur tour la région paloise et la bonne ville de Pau, couronne de bourgeois collet monté qui a toujours pris la garde du centre ville contre la menace d’une reprise en main des indigènes, au point de s'offrir le luxe, comme un serviteur plus zélé et méfiant que son maître, de tenir longtemps Bayrou à la lisière, en lisière.
André Labarrère, lui, d’une autre trempe, n’avait pas oublié d’où il venait, d’où venait Pau : « Il faut s’y résoudre, notre ville n’est pas de noble naissance. Avant l’an mille, on ne connaît rien de Pau. Quelques masures au sommet d’une colline… Certes, aux portes de la ville, en grattant le sol de quelques étables des restes de mosaïques sont apparus » (Pau ville jardin, Arthaud/Marrimpouey, 1983, p. 9)… mais rien qui suffise à tracer une généalogie romaine à la palissade et à sa chasse. Pau entrera peu à peu dans l’Histoire par les campagnes et les montagnes… jusqu’à ce que les souverains ne s’en emparent et finissent par la rattacher, pardon pour l'euphémisme, annexer de force en vérité, à la France en 1620 pour la soumettre bientôt au centralisme de Richelieu. Baulny l’historien travaillait lui aussi à cette mémoire. Comme il le remarque dans ces émissions, les Jésuites qui ont fondé les Collèges au milieu du XVIe siècle sont les principaux artisans de l'acculturation qui s'ensuivit. Armés par Louis XIII plus efficacement encore que ses troupes du « droit de main levée », c'est-à-dire de faire confisquer et séquestrer arbitrairement les biens et les droits des protestants récalcitrants au catholicisme rétabli, bref de les dépouiller, piller et asservir, les Jésuites parviennent sous leur règle sévère à inculturer la religion de Rome et le latin classique en Béarn, au moins en son centre et chez ses larbins (et non dans résistance de la périphérie par exemple oloronaise), tout honorés comme aujourd'hui encore, d'être les phares d'une culture centralisatrice abêtissante, au moyen d'une philosophie fermement critiquée et rejetée par Descartes en raison de sa bêtise, mathématiques exceptées. En 1594 Henri IV exclut les prêtres et « escholiers » de la Compagnie comme « corrupteurs de la jeunesse » (« et ennemis du roi »), avant de les rappeler en 1603, rappel qui lui fut peut-être fatal et qui en tout cas leur permit de refondrer un Collège en 1622. Ce n'est qu'en 1789, plus exactement en 1793, que le Collège Royal de Pau se libèrera de ce carcan, après être passé sous la coupe idéologique des Bénédictins sur ordre de Louis XVI, suite à une brève période séculière ou laïque à laquelle les bons bourgeois de Pau demandèrent eux-mêmes que l'on mît fin (si si ! ... tandis que d'autres dans la nécessaire confusion pré-révolutionnaire - bien qu'elle se fût alors ignorée comme telle - préparaient au moins la chute du règne des deux ordres). « L'esclave de la veille n'est que trop souvent le tyran du lendemain ». Puis le Collège deviendra un éphémère et fumeux Lycée Impérial en 1808, qu'il va redevenir sous le neveu, pour le demeurer sous la IIIe République, quand l'Empire comptait 110 millions de Français, (grâce au même travail de civilisation romaine qui avait "conquis" les palois), et que le Ministre de l'Instruction, Victor Duruy, lui aussi honoré dans la région, déclarait en 1866 que le lycée de Pau était l'un des fleurons des lycées Impériaux et en 1863 que la philosophie (dont il eut le mérite de rétablir l'enseignement) était « le rempart contre le matérialisme »... Enfin, en 1934, après l'assassinat du Ministre des Affaires étrangères, l'établissement devint l'actuel Lycée Barthou. Les Palois et leurs professeurs ont la vanité de s'enorgueillir de son destin, pourtant bien triste et ironique tout de même, qui a empêché un peuple de grandir dans sa langue et finalement d'être, le condamnant à cette autre vanité de « fabriquer » les mots réprimés au moyen du latin, la langue de l'oppresseur et de l'occupant. Ni les uns ni les autres n'échappent au mouvement historial qui nous soumet au joug de la production.
[3] N’ont-ils pas lu Ferdinand de Saussure ? « L’homme qui prétendrait composer une langue immuable, que la postérité devrait accepter telle quelle, ressemblerait à la poule qui a couvé un œuf de canard : la langue créée par lui serait emportée bon gré mal gré par le courant qui entraîne toutes les langues. », Cours de linguistique générale, Ch. II, §2. Et quand cette évolution a été bloquée, parce que la langue a été « longtemps exclu(e) de l'école, réduit(e) à un ghetto rural, persécuté(e) », sans pouvoir « suivre l'évolution des mœurs, qu'elle s'est appauvrie dans son usage quotidien », que fait-on? On témoigne de ce meurtre et on crée, en effet, mais créer n'est pas fabriquer, fût-ce sans imposer. Poésie n'est pas linguistique. Si le Yiddish est une langue d'avenir, malgré la Shoah, c'est qu'outre son immémoriale origine, l'apport du neuf n'a jamais cessé de lui parvenir par les langues de la diaspora. Idem pour le Catalan porté par une grande culture. Il est vain de chercher à rattraper le temps perdu, il l'est définitivement, les langues n'attendent pas les locuteurs, fussent-ils volontaristes, elles vont de leurs propres pas. Le parler béarnais s'éteindra un jour pour toujours avec les vieux. L'eau de vaisselle servie à sa place ne lui succédera pas. En revanche, si comme Marilis l'on soufflle sur les braises, le feu de l'esprit, lui, ne s'éteindra pas...
Olivier BAULNY avec ses élèves sous la chaire baroque de la Biblithèque du Lycée Louis Barthou de PAU, années 1980.
Portrait de René Descartes jeune. Huile sur toile. Ecole française musée des Augustins, Toulouse.
Couverture du Discours de la Méthode, Leyde, 8 juin 1637.
Première Partie du Discours de la Méthode : « Quelques considérations touchant les sciencs ».
Deuxième Partie du Discours de la Méthode : « Principales règles de la méthode ».
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