Jürgen Habermas dénonce la post-démocratie d'Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy

         Jürgen Habermas (Photo Holberg Prize / Florian Beier)

 

Alors que le 2 décembre Angela Merkel a tranquillement annoncé au Bundestag que l’Europe s’apprêtait à instaurer, sans le consentement de ses peuples, une union budgétaire avec des règles strictes pour la zone euro, après que la veille Nicolas Sarkozy a affirmé la nécessité de l’adoption par tous les pays européens de « la règle d’or », après que le lendemain Alain Juppé a commis le minable sophisme de reprocher aux critiques socialistes de Merkozy de prendre le « risque de ressusciter en France les vieux démons de la germanophobie », nous rassemblons ici trois documents de presse concernant Jürgen Habermas: I/ un article (extrait de son ouvrage sur l'Europe à paraître en français) publié dans Le Monde en octobre, II/ une interview donnée également au Monde en novembre, enfin III/ un article de Georg Diez sur Habermas paru dans Der Spiegel le 2 décembre. Leur ligne directrice est la dénonciation de l’appropriation – c’est à dire aussi bien de la destruction – de la politique par les élites politiciennes.

On peut ne pas être d’accord avec la philosophie de Habermas, mais on ne saurait nier l’attachement de cet héritier de Horkheimer à la démocratie, à sa citoyenneté constitutionnelle, à son éthique dialectique et à son principe de publicité. Or ce sont précisément ces valeurs que les dirigeants européens s’emploient aujourd’hui à fouler aux pieds comme jamais nous ne l’avons vu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. « Si je vois juste », écrit Habermas, « ils [A. Merkel et N. Sarkozy] cherchent à consolider le fédéralisme exécutif impliqué dans le traité de Lisbonne en une domination intergouvernementale du Conseil européen contraire au traité. Un tel régime permettrait de transférer les impératifs des marchés aux budgets nationaux sans aucune légitimation démocratique propre » (cf. infra article I). Vous voyez parfaitement juste, Monsieur Habermas ! Que les peuples entendent cet homme né dans l’Allemagne nazie, un temps égaré comme d’autres gamins dans les jeunesses hitlériennes. Il a aujourd’hui quitté son bureau, il s’engage pour le salut d'une Europe en mode démocratique qu’il revendique comme le projet de sa génération, et du haut de ses 82 ans il crie sa colère : « ça suffit ! ».

Voir sur francetvinfo un comparatif (par Valérie Astruc) des discours de N. Sazkozy le 1er décembre à Toulon et d'A. Merkel le lendemain à Berlin.

 

I. Jürgen Habermas : La démocratie en jeu

27 octobre 2011 - Le Monde - Paris - Source : presseurop.eu

La crise de la zone euro rend nécessaire une plus grande intégration politique de l’UE, constate le sociologue allemand. Mais la voie empruntée par les dirigeants européens laisse de côté ce qui devrait être leur priorité : le bien-être des citoyens, établi dans un cadre démocratique. Extraits.

À court terme, la crise requiert la plus grande attention. Mais par-delà ceci, les acteurs politiques ne devraient pas oublier les défauts de construction qui sont au fondement de l’union monétaire et qui ne pourront pas être levés autrement que par une union politique adéquate : il manque à l’Union européenne les compétences nécessaires à l’harmonisation des économies nationales, qui connaissent des divergences drastiques dans leurs capacités de compétition.

Le « pacte pour l’Europe » à nouveau renforcé ne fait que renforcer un vieux défaut : les accords non contraignants dans le cercle des chefs de gouvernements sont ou bien sans effets ou bien non démocratiques, et doivent pour cette raison être remplacés par une institutionnalisation incontestable des décisions communes.

Le gouvernement fédéral allemand est devenu l’accélérateur d’une désolidarisation qui touche toute l’Europe, parce qu’il a trop longtemps fermé les yeux devant l’unique issue constructive que même la Frankfurter Allgemeine Zeitung a décrit entre-temps par la formule laconique : « Davantage d’Europe ».

Une paralysie généralisée

Tous les gouvernements concernés se retrouvent désemparés et paralysés face au dilemme entre d’une part les impératifs des grandes banques et des agences de notation et d’autre part leur crainte face à la perte de légitimation qui les menace auprès de leur population frustrée. L’incrémentalisme écervelé trahit le manque d’une perspective plus large.

La crise financière qui dure depuis 2008 a figé le mécanisme de l’endettement étatique aux frais des générations futures ; et en attendant, on ne voit pas comment les politiques d’austérité – difficiles à imposer en politique intérieure – pourraient être mises en accord sur la longue durée avec le maintien du niveau d’un État social supportable.

Au vu du poids des problèmes, on s’attendrait à ce que les politiciens, sans délai ni condition, mettent enfin les cartes européennes sur table afin d’éclairer de manière offensive la population sur la relation entre les coûts à court terme et l’utilité véritable, c’est-à-dire sur la signification historique du projet européen.

Au lieu de cela, ils s’acoquinent avec un populisme qu’ils ont eux-mêmes favorisé par l’obscurcissement d’un thème complexe et mal-aimé. Sur le seuil entre l’unification économique et politique de l’Europe, la politique semble retenir son souffle et rentrer la tête dans les épaules.

Seul le populisme de droite projette les grands sujets nationaux

Pourquoi cette paralysie ? C’est une perspective engluée dans le XIXe siècle qui impose la réponse connue du demos : il n’existerait pas de peuple européen ; c’est pourquoi une union politique méritant ce nom serait édifiée sur du sable. À cette interprétation, je voudrais en opposer une autre : la fragmentation politique durable dans le monde et en Europe est en contradiction avec la croissance systémique d’une société mondiale multiculturelle, et elle bloque tout progrès dans la civilisation juridique constitutionnelle des relations de puissance étatiques et sociales.

Étant donné que jusque-là l’UE a été portée et monopolisée par les élites politiques, une dangereuse asymétrie en a résulté – entre la participation démocratique des peuples aux bénéfices que leurs gouvernements « en retirent » pour eux-mêmes sur la scène éloignée de Bruxelles, et l’indifférence, voire l’absence de participation des citoyens de l’UE eu égard aux décisions de leur Parlement à Strasbourg.

Cette observation ne justifie pas une substantialisation des « peuples ». Seul le populisme de droite continue de projeter la caricature de grands sujets nationaux qui se ferment les uns aux autres et bloquent toute formation de volonté dépassant les frontières.

Plus les populations nationales prennent conscience, et plus les médias portent à la conscience, à quelle profondeur les décisions de l’UE influent sur leur quotidien, plus croîtra l’intérêt qu’ils trouveront à faire également usage de leurs droits démocratiques en tant que citoyens de l’Union.

Ce facteur d’impact est devenu tangible dans la crise de l’euro. La crise contraint aussi, à contrecoeur, le Conseil à prendre des décisions qui peuvent peser de façon inégale sur les budgets nationaux.

Des négociations dans des zones juridiques grises

Depuis le 8 mai 2009, il a outrepassé un seuil par des décisions de sauvetage et de possibles modifications de la dette, de même que par des déclarations d’intentions en vue d’une harmonisation dans tous les domaines relevant de la compétition (en politique économique, fiscale, de marché du travail, sociale et culturelle).

Au-delà de ce seuil se posent des problèmes de justice de la répartition. Il serait donc conforme à la logique de ce développement que des citoyens étatiques qui doivent subir des changements de répartition des charges au-delà des frontières nationales, aient la volonté d’influer démocratiquement, dans leur rôle de citoyen de l’Union, sur ce que leurs chefs de gouvernement négocient ou décident dans une zone juridique grise.

Au lieu de cela nous constatons des tactiques dilatoires du côté des gouvernements, et un rejet de type populiste du projet européen dans son ensemble du côté des populations. Ce comportement autodestructeur s’explique par le fait que les élites politiques et les médias hésitent à tirer des conséquences raisonnables du projet constitutionnel.

Sous la pression des marchés financiers s’est imposée la conviction que, lors de l’introduction de l’euro, un présupposé économique du projet constitutionnel avait été négligé. L’UE ne peut s’affirmer contre la spéculation financière que si elle obtient les compétences politiques de guidage qui sont nécessaires pour garantir au moins dans le coeur de l’Europe, c’est-à-dire parmi les membres de la zone monétaire européenne, une convergence des développements économiques et sociaux.

L’exercice d’une domination post-démocratique

Tous les participants savent que ce degré de « coopération renforcée » n’est pas possible dans le cadre des traités existants. La conséquence d’un « gouvernement économique » commun, auquel se complaît aussi le gouvernement allemand, signifierait que l’exigence centrale de la capacité de compétition de tous les pays de la communauté économique européenne s’étendrait bien au-delà des politiques financières et économiques jusqu’aux budgets nationaux, et interviendrait jusqu’au ventricule du coeur, à savoir dans le droit budgétaire des Parlements nationaux.

Si le droit valide ne doit pas être enfreint de façon flagrante, cette réforme en souffrance n’est possible que par la voie d’un transfert d’autres compétences des États membres à l’Union. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont conclu un compromis entre le libéralisme économique allemand et l’étatisme français qui a un tout autre contenu. Si je vois juste, ils cherchent à consolider le fédéralisme exécutif impliqué dans le traité de Lisbonne en une domination intergouvernementale du Conseil européen contraire au traité. Un tel régime permettrait de transférer les impératifs des marchés aux budgets nationaux sans aucune légitimation démocratique propre.

Les chefs de gouvernement transformeraient de la sorte le projet européen en son contraire : la première communauté supranationale démocratiquement légalisée deviendrait un arrangement effectif, parce que voilé, d’exercice d’une domination post-démocratique. L’alternative se trouve dans la continuation conséquente de la légalisation démocratique de l’UE. Une solidarité citoyenne s’étendant à l’Europe ne peut pas se former si, entre les États membres, c’est-à-dire aux possibles points de rupture, se consolident des inégalités sociales entre nations pauvres et riches.

L’Union doit garantir ce que la Loi fondamentale de la République fédérale allemande appelle (art. 106, alinéa 2) : « l’homogénéité des conditions de vie ». Cette « homogénéité » ne se rapporte qu’à une estimation des situations de vie sociale qui soit acceptable du point de vue de la justice de répartition, non pas à un nivellement des différences culturelles. Or, une intégration politique appuyée sur le bien-être social est nécessaire pour que la pluralité nationale et la richesse culturelle du biotope de la « vieille Europe » puissent être protégées du nivellement au sein d’une globalisation à progression tendue.

Traduit de l’allemand par Denis Trierweiler

Cet article est un extrait du livre Zur Verfassung Europas (De la Constitution de l’Europe), à paraître en français aux éditions Gallimard.

Ce texte est extrait de la conférence que Jürgen Habermas donnera à l’université Paris-Descartes (12, rue de l’École-de-Médecine, 75006 Paris) dans le cadre d’un colloque organisé, le 10 novembre, par l’équipe PHILéPOL (philosophie, épistémologie et politique) dirigée par le philosophe Yves Charles Zarka. L’intégralité du texte sera publiée dans le numéro de janvier 2012 de la revue Cités (PUF). Le jeudi 10 novembre, après le colloque, à 18h, Jürgen Habermas s’entretiendra avec Yves Charles Zarka sur le rôle de la philosophie dans la crise actuelle de la conscience européenne, à la librairie philosophique Vrin (6 place de la Sorbonne, 75005 Paris).

 

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II. « Le joli mot de "gouvernance" n’est qu’un euphémisme pour désigner une forme dure de domination politique »

Le 17.11.11 - 13h23 - Le Monde - Paris - par Nicolas Truong

Dans une tribune (Le Monde du 26 octobre), Jürgen Habermas avait alerté l’opinion sur les risques que prenait l’Union européenne (UE) à s’engager dans une voie « postdémocratique » pour régler la question des dettes des pays de la zone euro. Dans un entretien exclusif, il revient sur la crise de légitimité démocratique de l’UE et les moyens de la résorber.

Pourquoi redoutez-vous qu’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy n’aient signé, le 27 octobre, un compromis au détriment de la légitimité démocratique ?

On vient de le voir à Cannes, les menaces qui pèsent sur l’euro contraignent Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, qu’ils le veuillent ou non, à œuvrer ensemble. Mme Merkel, elle-même, a fini par se rendre compte que l’union monétaire européenne ne disposait pas d’un contrôle supranational à sa mesure. Une politique commune doit permettre une meilleure coordination et, dans le même temps, contribuer à surmonter les déséquilibres qui s’instaurent entre des économies nationales qui, emportées par leur propre dérive, tendent à s’éloigner les unes des autres.

Mme Merkel et M. Sarkozy n’ont jusqu’ici exprimé sur l’avenir de l’Union que des idées bien vagues, qui de surcroît ne coïncident guère. Mais, du moins, vont-ils dans le sens d’une collaboration intergouvernementale renforcée. Le Conseil européen doit s’employer à la mettre en place. C’est un changement en apparence minimal, qui ménage les gouvernements nationaux. Le problème est que cela devrait se traduire par une perte progressive de contrôle des Parlements nationaux sur les lois de finances. Il y a donc là quelque chose d’insidieux, car cette réforme asphyxierait petit à petit le poumon de la démocratie à l’échelle nationale, sans que cette perte soit compensée au niveau européen.

Après l’annonce du retrait du référendum grec, craignez-vous encore plus que l’Europe n’entre dans une ère post-démocratique ?

J’ai trouvé intéressant l’instant d’effroi produit au sein de l’élite politique par l’annonce du référendum grec. Car la crainte réveillée brutalement par la décision soudaine de Georges Papandréou fut celle de voir un peuple, auquel on avait imposé une cure problématique, entrer en résistance.

C’est en effet une cure doublement problématique ; elle l’est du point de vue économique - le programme d’épargne sans l’impulsion publique d’un programme d’investissement étrangle l’économie grecque ; et elle l’est aussi du point de vue politique – le droit de contrôle de la « troïka » (Commission, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international) entraîne, depuis un certain temps déjà, une perte de souveraineté qui change la donne constitutionnelle, et sur laquelle le peuple n’a pas été consulté. Alors, certes, la Grèce est un cas particulier. Mais ce processus pourrait bien être porteur des prodromes d’un passage d’une Europe de gouvernement à une Europe de la gouvernance. Or le joli mot de « gouvernance » n’est qu’un euphémisme pour désigner une forme dure de domination politique, qui ne repose que sur le fondement faiblement légitimé des traités internationaux.

Ne tirons cependant pas de cette analyse de fausses conclusions, comme y sont enclins certains de mes amis français, qui professent un nationalisme républicain de gauche. Une seule chose compte pour des États nationaux, plutôt petits, tels que les nôtres en Europe: la « démocratie d’un seul pays » n’est plus à même de se défendre contre les injonctions d’un capitalisme forcené, qui franchissent, elles, les frontières nationales.

Quelles solutions politiques se présentent à l’Union européenne pour sortir de la crise économique et financière ?

Je ne suis pas économiste, et peut-être les économistes eux-mêmes ne savent-ils pas précisément comment maîtriser à court terme la « crise fiscale ». Nous avons quand même fait un pas vers une union de transfert, et il faudrait, par conséquent, que l’Allemagne cesse de regimber pour apporter les garanties nécessaires afin, comme on dit, « d’apaiser les marchés financiers ».

Mais, même avec cet « apaisement », nous n’aurons pas encore gagné grand-chose. Nous ne pourrons pas réguler les marchés financiers tant que le déséquilibre néolibéral entre la politique et les marchés n’aura pas été éliminé. Et puisque la globalisation économique, voulue par les politiques, est irréversible, nous devons regagner des latitudes d’action au niveau supranational, sans pour autant sacrifier la démocratie. Un premier pas serait le réaménagement de l’UE, en commençant bien sûr par celui de l’union monétaire, dont il faudrait faire une union supranationale dotée de compétences élargies, mais qui satisfasse aux critères démocratiques de légitimation.

Les dirigeants européens ont-ils peur de la démocratie ?

Ils ont peur de ne pas obtenir de majorité ou de perdre le pouvoir. En temps normal, c’est d’ailleurs surtout un rôle que la démocratie assigne aux partis. Ce que nous avons plutôt à craidre, pour notre part, c’est que nos hommes et nos femmes politiques sont incapables de reconnaître le caractère exceptionnel de la situation et de saisir la chance qui réside dans la crise. 

Pour une fois, une ruse de la raison économique fait que, dans nos sphères publiques respectives, les craintes sur l’avanir de l’Europe sont devenues le thème de discussion numéro un. Peut-être l’heure de naissance de la sphère publique européenne a-t-elle donc enfin sonné. Les directions politiques devraient donc se montrer capables de perspectives ouvertes sur une réorganisation de l’Europe – et avoir le courage de nager, au besoin, à contre-courant, plutôt que de courir les sondages en quête d’une majorité. Et ils le devraient d’autant plus que, y compris dans les pays du noyau dur européen, la résistance des populistes de droite à un approfondissement de la coopération européenne ne sera pas surmontée sans de solides controverses.

(Traduction de l’allemand par Christian Bouchindhomme.)

 

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III. Jürgen Habermas, le dernier Européen

 2 décembre 2011 - Der Spiegel - Hambourg - Source : presseurop.eu

Le philosophe allemand a quitté sa table de travail pour sauver l’idée d’Europe de ses dirigeants politiques incapables et du pouvoir obscur des marchés. Extraits.

Georg Diez

Jürgen Habermas est remonté. Très remonté. Et s’il est si remonté, c’est qu’il en fait une affaire personnelle. Il tape du poing sur la table en s’écriant : « Cela suffit, maintenant ! » Il n’a tout simplement pas envie de voir l’Europe disparaître dans les oubliettes de l’histoire mondiale.

« Je m’exprime ici en tant que citoyen, lance-t-il. Et croyez-moi, je préfèrerais être chez moi, à ma table de travail. Mais c’est trop important. Il faut que tout le monde comprenne bien que nous avons des décisions très importantes à prendre. C’est la raison pour laquelle je me suis engagé dans le débat. Le projet européen ne peut plus rester l’affaire d’une élite ».

Cela suffit ! L’Europe est son projet, c’est le projet de sa génération. À 82 ans, Jürgen Habermas est entré en campagne. Il a pris place sur la scène du Goethe Institut, à Paris.

La colère reprend le dessus

Le plus souvent, il tient des propos avisés : « Cette crise voit le télescopage d’impératifs fonctionnels et systémiques » – faisant référence aux dettes des États et à la pression des marchés.

Mais parfois, il secoue la tête d’un air effaré et lâche : « Cela ne peut pas continuer comme cela, cela ne peut pas continuer comme cela » – faisant référence au diktat européen et à la perte de souveraineté nationale des Grecs.

Et puis sa colère reprend le dessus : « J’en veux aux partis politiques. Nos dirigeants ne sont plus capables de se fixer d’autre objectif que leur prochaine réélection, et ce depuis longtemps, ils ne proposent plus rien, ils n’ont plus aucune conviction ».

Le propre de cette crise est de parfois mettre la philosophie et les discours de café du commerce sur un pied d’égalité.

Jürgen Habermas entend faire passer son message. D’où sa présence ici. D’où la publication récente d’une tribune dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, dans laquelle il reproche aux dirigeants politiques européens leur cynisme et leur « écartement des idéaux européens ». D’où la parution d’un ouvrage, un « petit fascicule », comme il dit, que la Zeit s’est empressée de comparer à « Vers la paix perpétuelle » de Kant. La question est de savoir s’il a une idée de la suite à donner à la démocratie et au capitalisme.

L’ouvrage, qui prend pour l’essentiel la forme d'un essai, s’intitule Zur Verfassung Europas [De l’état de l’Europe, traduit bientôt chez Gallimard]. Il y décrit la façon dont l’essence de la démocratie a évolué sous la pression de la crise et des rumeurs de marchés.

Le pouvoir n’est plus entre les mains des peuples, il est désormais aux mains d’instances à la légitimité douteuse comme le Conseil européen. Au fond, nous pouvons dire que nous avons été victimes, il y a maintenant longtemps, d’un putsch silencieux des technocrates.

« Le 22 juillet 2011, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont conclu un compromis, vague et laissant une large place à l’interprétation, entre le libéralisme économique allemand et l’étatisme français », écrit-il.

Un phénomène rare en Allemagne

Jürgen Habermas parle de « post-démocratie » pour désigner ce qu’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy sont en train de mettre en place. Elle se compose du Parlement européen, dont l’influence est limitée.

De la Commission européenne, qui adopte une « curieuse position flottante », agissant sans être vraiment responsable de ses actes. Et surtout, par-dessus tout, du Conseil européen, dont le traité de Lisbonne a renforcé la position et que Jürgen Habermas qualifie d’ « anomalie », d’ « instance gouvernementale qui fait de la politique sans y être autorisée ».

Car Jürgen Habermas, précisons-le, n’est ni un râleur, ni un pessimiste, ni une Cassandre, c’est un optimiste, presque indécrottable, ce qui fait de lui un phénomène rare en Allemagne.

Jürgen Habermas croit dur comme fer à la raison populaire. À la démocratie à l’ancienne, bien ordonnée. À une opinion publique qui sert à faire évoluer les choses. Et c’est pourquoi il jette un regard satisfait sur son audience, ce soir-là, à Paris.

Pendant que les fumeurs de pétards, les jeunes branchés et les marginaux du mouvement « Occupy Wall Street » refusent de formuler ne serait-ce qu’une seule exigence claire, Jürgen Habermas détaille précisément pourquoi l’Europe est, à ses yeux, un projet de civilisation qui ne doit pas échouer, et pourquoi l’émergence d’une « société mondiale » n’est pas seulement possible, mais également nécessaire afin de réconcilier capitalisme et démocratie.

D’un autre côté, ils ne sont pas si différents, les cyberrévolutionnaires et le professeur signant chez Suhrkamp [maison d’édition des philosophes et intellectuels]. Au fond, nous avons affaire à une répartition des tâches entre l’analogique et le numérique, entre le débat et l’action.

« C’est après 2008 que j’ai compris que la poursuite du processus d’élargissement, d’approfondissement, de démocratisation, n’était pas automatique, confie Jürgen Habermas après le débat, devant un verre de vin blanc, qu’il était réversible, que nous assistions, pour la première fois dans l’histoire de l’Union, à un recul de la démocratie. Je ne pensais pas la chose possible. Nous nous trouvons à la croisée des chemins ».

« Les élites politiques n’ont absolument aucun intérêt à expliquer à la population que des décisions importantes sont prises à Strasbourg. Ils n’ont peur que d’une chose, c’est de perdre leur pouvoir », dénonce-t-il.

Une affaire personnelle

On comprend mieux pourquoi Jürgen Habermas en fait une affaire personnelle, où il est question de la mauvaise Allemagne d’hier et de la bonne Europe de demain, de la conversion du passé en avenir, d’un continent jadis rongé par la culpabilité, aujourd’hui par les dettes.

Son point de vue est le suivant : « Les citoyens, qui étaient jusqu’alors contraints d’accepter la redistribution de la charge de la dette par-delà les frontières des États, pourraient, en tant que citoyens européens, faire valoir leur influence démocratique sur des gouvernements qui opèrent aujourd’hui dans une zone floue d’un point de vue constitutionnel ».

C’est le cœur du raisonnement de Jürgen Habermas, qui faisait jusqu’à présent défaut dans la réflexion sur l’Europe, une formule qui résume ce qui ne va pas dans la construction actuelle : l’Union n’est pas une fédération d’États, ni un État fédéral, mais quelque chose de nouveau, une communauté juridique dont ont convenu les peuples d’Europe avec les citoyens d’Europe, c’est-à-dire dont nous avons convenu entre nous, en excluant nos gouvernements respectifs. Ce qui prive naturellement Angela Merkel et Nicolas Sarkozy du fondement de leur pouvoir, mais c’est aussi là son objectif.

Il existe une autre option, assure-t-il, il existe une autre voie que le changement de pouvoir insidieux auquel nous assistons aujourd’hui. Les médias devraient aider les citoyens à comprendre quel est l’impact de l’Union sur leur vie. Les politiques verraient à quelle pression ils seront soumis si l’Europe échoue. Il faut démocratiser l’Union, mais concrètement, comment ?

« Si le projet européen doit échouer, analyse Jürgen Habermas, la question est de savoir combien de temps sera nécessaire pour revenir au statu quo. Souvenez-vous de la révolution allemande de 1848 : après son échec, il a fallu 100 ans pour retrouver le niveau démocratique qui existait auparavant ».

Commentaire(s)

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Enfin, oui, parce qu'on n'entend guère nos intellos s'élever contre la spoliation de la souveraineté populaire par Merkozy... ni contre la misère croissante de la jeunesse notamment... Ils se planquent et attendent des jours plus sereins...des fois qu'on leur retirerait leurs prébendes si...

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ll n'y a pas que les intellectuels, universitaires et autres suppôts idéologiques du pouvoir pour « ignorer » cette spoliation. C'est le fait également de l'individu lambda qui se soumet de plus en plus à un système de production qui lui a longtemps permis d'augmenter son confort et à l'abri duquel il se croit aujourd'hui mieux protégé contre la perte de ce confort que s'il mettait en question sa systématicité automate, d'autant que le système ne cesse de justifier son renforcement et son développement politiquement incontrôlé (au sens où « politique » signifie ici « démocratique ») par la crise qui le menace, lui et les individus qu'il abrite. Bref, l'arraisonnement technocratique gouverne la plupart d'entre nous. C'est pourquoi Sarkozy peut sans grand risque trahir son mandat et seconder le système sans aucun nouveau mandat. Dans la perspective de cette aliénation, il n'y a pas de révolution possible au sens d'une réappropriation et d'une réinstrumentalisation collectives et centralisées de l'appareil de production. Seule une prise de conscience intersubjective à la croisée des débats démocratiques internationaux ou transnationaux pourrait permettre un agir communicationnel susceptible de réorienter démocratiquement le système productif, non seulement dans les sphères supérieures de la décision politique, mais – propos de Polit'productions? – sur les lieux mêmes de la production. C'est là la thèse de Habermas, et c'est contre la fermeture de l'espace public dialectique, transrégional et transnational, que, semble-t-il, il se dresse aujourd'hui.

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Un élément de bibliographie pour « nourrir la discussion » :

« Conférence de Jürgen Habermas : Pourquoi l’Europe a-t-elle besoin d’un cadre constitutionnel ? », Cahiers de l’Urmis [En ligne] , N°7 | juin 2001 , mis en ligne le 15 février 2004. URL : http://urmis.revues.org/index10.html

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Revue de Presse
Source : Presseurop - 6 décembre 2011
 
 

Réunis à Paris le 5 décembre, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy se sont mis d’accord sur un plan censé sauver l’euro de la catastrophe. Ils demandent aux Vingt-Sept de l’approuver lors du sommet des 8-9 décembre. Mais ce n’est pas gagné, estime-t-on hors de France et d'Allemagne.

L'accord entre le président et la chancelière prévoit notamment une réforme des traités européens visant à introduire le principe de la rigueur budgétaire, et de sanctions "immédiates" et "automatiques" pour les Etats dont le déficit dépasserait 3% du PIB. Paris et Berlin réclament également l’instauration d’une "règle d’or renforcée et harmonisée au niveau européen", afin que chaque pays puisse mettre en place des mécanismes de garantie quant au respect de l’objectif de l’équilibre budgétaire. Pendant ce temps, l’agence de notation Standard & Poor’s a annoncé avoir mis "sous surveillance négative" plusieurs pays de la zone euro, y compris les six triple A.

A Madrid, El País qualifie l’accord de “bancal”, car “insuffisant” dans l’ensemble "discutable" dans chacun de ses aspects, notamment parce que le partage des responsabilités est totalement absent :

Il n’est pas suffisant parce que Merkel et Sarkzoy ne dessinent pas, malgré leur propos, une union fiscale […], et ils ne font que mettre l’emphase sur la discipline budgétaire. Une reforme du traité sous la menace ne concernerait que la zone euro en cas de boycott de quelques-uns et met la pression sur tous ; mais elle ouvre aussi la boîte de Pandore d’interminables et paralysantes discussions byzantines : les traités actuels ont coûté 10 ans. Mais les carences les plus importantes sont dans le flou des mécanismes urgents pour affronter la crise. On fait à peine référence à la mise en place anticipé du Fonds de sauvetage définitif (le Mécanisme européen de stabilité, MES) à juin 2012, [il y a] un silence retentissant sur le rôle indispensable de la BCE et un regrettable refus des euro-obligations. Une maigre récolte : si elle n’est pas améliorée lors du sommet [des 8-9 décembre], la joie des marchés ne durera pas

“Berlin l’a emporté”, note pour sa part La Stampa. Si le quotidien turinois apprécie que Merkel et Sarkozy aient reconnu l’autonomie du patron de la Banque centrale européenne Mario Draghi, il regrette que l’accord entre les deux se soit fait au détriment des euro-obligations, les fameux emprunts d’Etat européens. Pour le reste, “il n’y a rien de nouveau”:

Ce qui frappe le plus, c’est ce dont ils n’ont pas parlé : de la BCE dont Sarkozy veut qu’elle intervienne plus activement et dont Merkel veut qu’elle se tienne à son rôle de stabilisation.

Côté portugais, Jornal de Negócios note que :

Ceux qui connaissent l’Europe savent que Merkozy a tracé un chemin incertain pour remporter la bataille contre un effondrement immédiat de l’euro, mais ils ont ravivé les plaies, ouvertes lorsque la crise a éclaté en 2010, au sein de la souveraineté et de la démocratie des pays européens et de l’UE.

Son confrère Público estime pour sa part que 

L’Allemagne se prépare à germaniser l’Europe (…) Même en acceptant l’idée qu’il faut “renforcer et harmoniser” l’intégration fiscale et budgétaire dans la zone euro, les exigences du couple Merkozy font penser à des réparations de guerre. Des exigences et encore des exigences aux perdants et aux affligés, mais rien qui ne demande de l’effort, de l’argent et de la solidarité.

L’estonien Postimees regrette pour sa part qu’une fois encore, “les chefs d’Etats de l’UE ont affaibli les insitutions européennes” :

Logo – Postimees, Tallinn

Toute l’action de sauvetage de la zone euro est coordonnée à travers le Conseil européen alors que cette institution n’a jamais été un organe de gouvernance démocratique. Il faudrait donner plus de voix au Parlement. Le retour vers l’Europe des nations voudrait dire aussi un retour en arrière en matière de gouvernance démocratique et serait sur le plan de la politique mondiale plusieurs fois plus catastrophique que le 11 septembre 2001 ou les guerres en Irak et en Afghanistan.

En dehors de la zone euro, le sceptiscisme est également de mise. Ainsi, à  Bucarest, Adevărul constate que la nouvelle Europe “ne sera pas parfaite et ne ressemblera pas à un poème” :

Au-delà des raffinements de la politique française, l’Europe poursuit son chemin, arrimée à l’Allemagne (…) Tout s’articulera autour du noyau dur de la zone euro, et les autres pays, qui n’en font pas partie, devront batailler pour suivre la cadence. La Roumanie, la Pologne, les pays baltes le feront, car c’est dans leur intérêt. Il n’y a pas d’autre choix.

Pour Rzeczpospolita enfin, l’accord entre Merkel et Sarkozy sur une Union de la stabilité n’est en rien une avancée ou une révolution, mais une “vieille Union, enlisée dans les compromis” :

Si l’on pouvait dessiner le mot “compromis”, il y a longtemps qu'on l’aurait mis sur le drapeau de l’UE à la place des étoiles. Et on ne se demanderait pas aujourd’hui quelle étoile va tomber la première. Mais même là, un compromis peut être trouvé. Et on va très certainement découvrir qu’il est parfaitement possible de faire partie de l’UE tout en étant à l’extérieur.

 

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Évariste, l'éditorialiste de ReSPUBLICA, nous livre une analyse du traité proposé par Merkozy qui rejoint celle de Habermas pour qui l'intention de ce couple infernal est « de transférer les impératifs des marchés aux budgets nationaux sans aucune légitimation démocratique propre », puisque, montre Évariste, le traité ne peut être d'aucun secours pour sauver l'Europe de sa faillitte imminente.

 

« Un nouveau traité européen en 2013 ou 2014… pour sauver les banques d’un krach au premier trimestre 2012 !

 
Par Évariste
Jeudi 15 décembre 2011
Source : ReSPUBLICA n°672

Comment peuvent-ils y croire ? Comment peuvent-ils même garder leur sérieux ?

La énième réunion de « la dernière chance » pour soi-disant sauver l’euro — en vérité le système bancaire européen ! — a débouché sur une décision ubuesque : changer les traités européens dans un à deux ans pour résoudre une crise de liquidité terrible et sauver les banques à horizon d’un ou trois mois.

Sur le fond, il va sans dire dans nos colonnes que cette proposition de soumission et de subsidiarité des politiques économiques et budgétaires des États au conseil des chefs d’états européens et à la Cour de justice de l’Europe sonne comme la destruction définitive des restes de démocratie politique sur notre continent. À quoi vont donc pouvoir servir les parlements nationaux en dehors de la figuration ?

Mais, et nous pesons nos mots, ce problème est peut-être en fait accessoire, car il est bien possible que ce nouveau traité ne voie tout simplement jamais le jour… faute de temps. En effet, le problème de la dette des États est secondaire par rapport au sujet principal : la nécrose du système bancaire en Europe. La preuve ? Jeudi 8 décembre, la BCE a engagé un sauvetage grand format du système bancaire européen. Elle a pris trois mesures destinées à aider celui-ci à sortir d’une crise de liquidité annoncée qui allait faire obstacle à ses opérations de refinancement : l’ouverture de deux guichets pour des crédits à 36 mois, à taux fixe de 1 %, et en quantité illimitée, un fort assouplissement des règles d’éligibilité du collatéral apporté en garantie, et une diminution du pourcentage des réserves obligatoires.

Posons-nous la simple question suivant : où en sera l’Europe, où en sera l’euro en 2013 ou 2014 ? Bien malin qui peut le dire aujourd’hui. Mais surtout où en sera le système bancaire européen à cette date ? Car ne nous y trompons pas et n’écoutons pas passivement les communiqués quasi quotidiens de la Merkozy : ce sont bien les banques que les « politiques » tentent fébrilement de sauver une fois de plus. Comme nous le disions dans nos colonnes, les banques européennes, et françaises en particulier, sont engagées sur le « marché gris », ou le shadow banking, pour des centaines de milliards sur des CDS (Credit Default Swap, des sortes d’assurances crédits garantissant un investissement en actions, en obligations ou en tous autres produits financiers), sur les dettes grecques, italiennes, espagnoles ou portugaises. Notons surtout que quelques banques, en particulier françaises, sont dans la nasse à cause des CDS qu’elles ont émises sur les taux des obligations d’État. Chaque augmentation des taux d’emprunts fait perdre des sommes considérables, notamment à la Société Générale ou à la BNP… Jouer au casino de la finance globale n’est pas sans risque ! Si un autre pays fait défaut, y compris à l’est comme la Hongrie par exemple, c’est la faillite assurée pour de nombreuses banques dans plusieurs pays.

Ce sommet de la soi-disant « dernière chance » est mis en scène pour tenter de faire passer un seul message : « financiers et banquiers de la planète, rassurez-vous, les États ne feront plus défaut et donc les CDS ne se déclencheront plus ! » Sauf que personne n’y croit. J’entends par « personne » : ni Wall Street à New York, ni la City à Londres… ceci explique la position du premier ministre britannique qui, réaliste, n’adhère pas au conte de fée du couple infernal franco-allemand.

Les prochains épisodes de cette saga tragi-comique risquent de tourner d’ici peu au drame pour les peuples d’Europe. Car le titre du prochain épisode est déjà connu : « le renflouement des banques par les trésors publics des nations à coup de centaines de milliards d’euros ! »

Pour qu’une force politique se lève sur le continent contre l’austérité et la paupérisation des couches populaires, la condition sine qua non est d’avoir au minimum conscience de l’imminence du choc bancaire qui est l’Alpha et l’Oméga de cette crise de fin d’époque. Il appartient donc à chacun d’entre nous d’en tirer les conséquences et de s’engager pour changer le rapport de force : l’indignation ne suffira pas ! »

 

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@ admin

Et cependant Habermas est favorable à des transferts de souveraineté...

Lire «Plus que jamais l'Europe», article cosigné par Habermas dans le Monde du 27 août 2012, puis celui d'Évariste du 30 août qui ne va pas dans le sens du rapprochement que vous opérez entre l'analyse de ce dernier et les positions d'Habermas... : «Rentrée: la mobilisation contre le TSCG devient l'axe du combat de la gauche de la gauche» par Évariste...

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Selon le Figaro.fr plus rien ne va pour le traité voulu par Merkozy. La dissonance règne au lieu de l'unité des 26 proclamée prétentieusement par Sarkozy au terme de la réunion du 9 décembre. Et voilà même que Juncker en appelle à la philosophie pour refuser l'inscription de la règle d'or dans la constitution du Luxembourg! On aura tout entendu. Sarkozy tiendra-t-il jusqu'aux présidentielles?

 

Les dissonances européennes inquiètent les marchés

Mis à jour le 15/12/2011 à 10:26 - publié le 14/12/2011 à 19:52
 

L'espoir franco-allemand d'un traité ressoudant l'euro est mis à mal. Les marchés parient une fois de plus que le fonds de

sauvetage européen, le FMI voire la BCE ne seront pas au rendez-vous.

L'élan s'essouffle six jours après le sommet décisif. L'espoir franco-allemand d'un traité qui ressouderait rapidement l'euro est entamé par une nouvelle poussée de cacophonie européenne, tandis que les marchés parient une fois de plus que le fonds de sauvetage européen, le FMI voire la BCE ne seront pas au rendez-vous.

Sur le front politique, les fissures proviennent d'abord des pays qui, sans avoir l'euro, se sont ralliés vendredi au «pacte de stabilité budgétaire». Au moins quatre d'entre eux semblent avoir des doutes, liés à un vote de ratification devant leur Parlement; la Suède, le Danemark, la Hongrie et la République tchèque. «Il ne sert à rien de se prononcer définitivement sur un texte tant que la page est encore blanche», dit le premier ministre tchèque Petr Necas. Coucher les premiers éléments sur le papier sera précisément l'enjeu d'une première réunion de juristes à vingt-six, jeudi à Bruxelles. Pour les neuf hors zone euro, la question centrale est de savoir s'ils devaient ou non consentir aux abandons de souveraineté budgétaire esquissés au sommet. Stockholm et Budapest s'inquiètent aussi de l'ambition de Nicolas Sarkozy d'étendre l'intégration européenne à un domaine jusqu'ici tabou: les impôts. Des réponses obtenues dépendra l'ampleur de la dissidence ouverte par le Royaume-Uni.

Scénario du référendum

D'autres dissonances se font entendre à l'intérieur de la zone euro. La plus surprenante est venue mercredi d'un Européen convaincu et président de l'eurogroupe de surcroît: le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker. L'inscription dans la loi fondamentale de la «règle d'or» européenne sur le retour à l'équilibre budgétaire serait contraire à la philosophie constitutionnelle du Grand-Duché, a-t-il expliqué. Une loi spéciale devrait suffire.

Aux Pays-Bas comme en Finlande, c'est un gouvernement à la majorité fragile qui pourrait être contraint de lâcher du lest face aux «eurosceptiques». L'Irlande, qui fit sa fortune grâce à une taxation minimale des bénéfices, redoute de se faire dicter une conduite fiscale par Paris et Berlin. Dissuasif, le scénario d'une ratification par référendum est à nouveau agité.

À Bruxelles enfin, pour tout compliquer, chacun tire la couverture à soi. Les États entendent naturellement dicter le contenu du futur traité «intergouvernemental». Mais les institutions, Commission et Parlement, cherchent à tout prix à préserver le pré carré communautaire. Le président du Conseil Herman Van Rompuy, lui, veut obtenir une première version avant Noël et finaliser le texte en mars, pour le sommet de l'UE. L'ambition est de réduire le changement au minimum -règle d'or et vote de sanctions à la majorité- dans l'espoir de limiter à la fois le débat européen et la casse devant les Parlements nationaux.

«Ce n'est pas ça qui va sauver l'euro»

Aux yeux des investisseurs, la survie immédiate de l'euro passe par une autre urgence: les ressources mobilisées sur les marchés par trois institutions, le FESF, le FMI et la BCE. Pour les deux premières, les promesses du sommet tardent à se concrétiser. La dernière, considérée comme le prêteur en dernier ressort, déçoit les marchés faute d'engagement concret depuis lundi. «Mettre en place le pacte budgétaire d'ici mars est souhaitable, mais ce n'est pas ça qui va sauver l'euro», disait mercredi à Paris Lucinda Creighton, ministre irlandaise des Affaires européennes. La poussière du sommet est retombée, mais les marchés n'y voient pas beaucoup plus clair.

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10 septembre 2012

Público Lisbonne (via Presseurop)

Dessin d'Ajubel

Les dirigeants européens brandissent le concept d’une intégration accrue comme la clé pour sortir de la crise. Mais ce ne sont que des mots vides de sens lancés avec la plus parfaite légèreté, s’insurge un historien portugais.

Pauvres mots ! Ils sont les premières victimes des dirigeants européens. Ces derniers en usent et en abusent, au point qu’ils finissent par ne plus rien vouloir dire.

Par “solidarité”, l’Allemand comprend : “Ces casse-pieds d’Européens du Sud qui reviennent à la charge pour me demander de l’argent.” Par “solidarité”, le Grec entend : “Ces casse-pieds d’Allemands qui reviennent à la charge pour m’imposer des sacrifices.” Pour certains acteurs politiques, “fédéralisme” est une coquille vide qui sert à avoir l’air moderne ; pour d’autres, une coquille vide qui sert à inspirer la peur.

Mais ni pour les uns ni pour les autres, “fédéralisme” n’a son sens originel de décentralisation et de démocratie. Sarkozy est même allé jusqu’à l’employer comme synonyme de système intergouvernemental, soit son exact contraire. Et quand les mots manquent, on dit qu’il faut “plus d’Europe”, une expression qui ne veut strictement rien dire : il nous faut peut-être plus de démocratie, plus d’intégration, plus de cohésion – tout cela, on sait ce que ça veut dire. Plus d’Europe, moi, je ne sais pas ce que c’est.

Objectifs néfastes 

Juste avant l’été, “croissance” a connu son heure de gloire. Nos eurochefs ont réuni un “sommet de la croissance”, et les socialistes en particulier réclamaient la croissance à cor et à cri. Hollande a mis en garde : il ne signerait le nouveau pacte budgétaire qu’à la condition qu’il s’accompagne d’un plan de croissance. A un moment est arrivée l’annonce qu’un peu plus de 100 milliards d’euros allaient être redéployés vers des projets soutenant la croissance et l’emploi. Soit un dixième de ce qu’on a prêté aux banques, et en deux jours, mais enfin…

Ils ont bien failli nous avoir, pas vrai ? Quelques mois plus tard, la France se prépare à signer le traité budgétaire, qui vide de son sens le Parlement européen, fixe des objectifs irréalistes, voire néfastes, et esquisse un modèle qui, s’il se répète, finira par détruire l’Union prétendument pour le bien de l’euro, le tout sans sauver ni l’une, ni l’autre. Et le fonds de croissance ? A en croire les dernières nouvelles qui circulent au Conseil de l’UE, la France refuserait d’y apporter son écot.

Tout cela pourrait être simplement triste, mais c’est pathétique. Chaque pays de l’Union joue avec le destin des autres sans comprendre qu’il s’agit aussi du sien.

Sourde oreille

L’exemple le plus édifiant est celui de l’évasion fiscale. Comme chacun sait, la quasi-totalité des 20 plus grandes entreprises de la Bourse de Lisbonne ont leur siège fiscal aux Pays-Bas, afin d’échapper aux obligations comptables et aux impôts qui sont exigés ici. Les Pays-Bas font la sourde oreille aux réclamations des pays victimes, dont le Portugal, qui de toute façon, à dire vrai, ne font pas grand-chose eux-mêmes contre ce problème.

En revanche, il s’est révélé fort opportun de découvrir, en pleine campagne électorale, que la compagnie ferroviaire néerlandaise (publique, par-dessus le marché) pratique elle-même l’évasion fiscale en Irlande. Voilà le monde politique néerlandais choqué, indigné, qu’on puisse leur faire exactement ce que leur pays laisse faire à d’autres.

Et la Hollande n’est même pas l’exemple le plus indécent. A l’autre bout de l’Europe, géographiquement et politiquement parlant, Chypre, dirigée par un gouvernement issu du parti communiste, a conclu avec la Russie un accord qui permet aux oligarques russes d’échapper à l’imposition dans leur pays et même de faire du blanchiment d’argent sale. A Chypre, il est non seulement facile d’ouvrir un compte bancaire, puisqu’il n’est pas obligatoire de donner son nom, mais il est aussi très aisé d’ouvrir une banque. Les Russes, naturellement, en profitent – toute coïncidence avec le trafic d’armes russes vers la Syrie est, naturellement, tout à fait fortuite.

Et on ne peut rien y faire ? C’est la présidence du Conseil qui fixe les priorités. Or cette présidence est actuellement assurée par Chypre… Et c’est l’Irlande qui lui succèdera.

Traduction : Julie Marcot

 

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14 septembre 2012

Gazeta Wyborcza Varsovie

Dessin de Beppe Giacobbe

La démocratie représentative et l’idée de solidarité entre Européens s’affaiblissent et rendent plus difficile de surmonter la crise. Sans un sursaut de participation citoyenne, l’Union ne survivra pas dans sa forme actuelle, avertit un éditorialiste polonais (Jacek Zakowski). Lire la suite

 

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Via Presseurop

Prix Nobel de la paix

L’appel d’Oslo à l’Europe

15 octobre 2012

La Repubblica Rome

Dessin de Darío

Le Nobel de la paix décerné à l’UE s’adresse à la fois aux dirigeants européens, afin qu’ils sauvent une Union en panne, et aux citoyens européens, pour qu’ils fassent preuve de solidarité, au moment où la crise met à mal le modèle social européen, écrit le philosophe allemand Jürgen Habermas.

C’est à l’heure de la crise la plus grave de son histoire que l’Union européenne se voit décerner le Nobel de la paix. Dans ses motivations, le Comité Nobel la félicite d’avoir "contribué à faire passer la majeure partie de l’Europe d’un continent en guerre à continent en paix". Certes, on aurait du mal à imaginer d’autres raisons pour motiver l’attribution d’un prix Nobel de la paix.

Pourtant, les circonstances de la crise actuelle éclairent d’un jour particulier la remise de ce Nobel, ou plus exactement les répercussions qu’une telle décision peut avoir sur la situation actuelle de l’Union. J’interprète la décision de décerner le prix Nobel de la paix à l’UE au moment précis où celle-ci n’a jamais été plus mal en point comme une supplique adressée aux élites politiques européennes – ces mêmes élites que nous voyons aujourd’hui se comporter dans la crise sans aucun courage ni aucune vision. 

Au-delà des antagonismes historiques 

Ce prix Nobel de la paix fait clairement savoir aux gouvernements qui sont aujourd’hui à la tête des pays membres de l’union monétaire qu’il leur faut aller au-delà de leur ombre portée et qu’il s’agit donc de faire avancer le projet européen. C’est écrit noir sur blanc, à trois reprises au moins, dans le texte même de l’appel. Le Comité Nobel commence par faire l’éloge de la réconciliation et de la construction de la paix en Europe après la Seconde guerre mondiale.

Le texte évoque ensuite les efforts de construction et de promotion de la démocratie et de la liberté, ainsi que les processus de libéralisation que l’Union européenne a mis en œuvre dans les années 1980 en faveur de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal, similaires à ceux des années 1989-1990 en faveur des pays d’Europe centrale et orientale, qui feront plus tard partie de l’Union. Des efforts que l’Europe doit aujourd’hui déployer et mettre en œuvre dans les Balkans. Le Comité Nobel salue le courage que sut trouver l’Europe pour dépasser les antagonismes historiques et remporter ce succès civilisateur qu’est l’élargissement de l’Union européenne, laquelle devra s’étendre un jour à la Turquie.

L’Europe des citoyens  

Mais ce n’est pas tout. Il faut attendre la troisième motivation du Comité pour trouver l’ironie qui préside à l’attribution de ce prix Nobel de la paix à l’Union européenne. Le Comité Nobel fait référence à la crise économique qui, dans les pays membres de la zone euro, est la cause "de troubles et de tensions sociales considérables" et pousse au bord de la rupture une Europe affligée de responsables défaillants. Ce qui est en jeu, si l’on lit bien le texte, c’est le troisième accomplissement majeur de l’Union, à savoir son modèle social, fondé sur l’Etat-providence.

A l’heure actuelle, nous autres Européens nous obstinons à rester immobiles et cois sur le seuil d’une Union à deux vitesses. Voilà pourquoi j’interprète également la décision de décerner le prix Nobel de la paix à l’Union européenne comme un appel à la solidarité des citoyens, qui devront dire de quelle Europe ils veulent. Seul l’approfondissement des institutions de la "KernEuropa" – le noyau dur européen – permettra de dompter un capitalisme devenu incontrôlable et de stopper le processus de destruction interne de l’Union.

Traduction : Jean-Baptiste Bor