Aristote : premier critique de la fausse richesse, spéculative et illimitée

Amphore à figures noires, période attique « Mais il existe un autre mode d’acquisition [la chrématistique contre nature, autre que le mode naturel d’acquérir, i.e. fini – Politpro], qu’on appelle surtout, et avec raison, l’art d’acquérir, c’est celui qui ne met point de limites à la richesse et à l’acquisition, et que l’on croit généralement être le même que celui dont je viens de parler [i.e. l’art naturel d’acquérir – Politpro] à cause du voisinage qui les rapproche. Il n’est pas le même et il n’en est pas non plus très éloigné ; l’un est naturel, l’autre ne vient pas de la nature, et il est plutôt le résultat d’une industrie et d’un certain art [pseudo-art en vérité – Politpro]. Essayons d’en saisir le principe et l’origine.

Toute propriété a deux usages qui, tous deux, lui sont inhérents, mais de manière différente : l’un est propre et direct, l’autre ne l’est pas, par exemple, la chaussure ; on peut la mettre à ses pieds ou s’en servir comme d’un moyen d’échange ; voilà deux manières d’en faire usage. Celui qui échange une chaussure contre de la monnaie ou contre des aliments avec celui qui a besoin de chaussure en fait bien usage, en tant que chaussure, mais non pas un usage propre et direct, car elle n’a pas été faite pour l’échange. Il en est de même de toutes les autres choses que l’on possède, car il n’y en a aucune qui ne puisse devenir l’objet d’un échange ; et l’échange a son principe et son fondement dans la nature, parce que les hommes ont en plus ou moins grande quantité les choses nécessaires à la vie.

Ce qui prouve encore que le commerce de détail n’appartient pas naturellement à la science d’acquérir la richesse, est que d’abord l’échange ne pouvait se faire que dans la juste proportion du nécessaire. On voit donc que dans la première association, celle de la famille, ce commerce était inutile ; le besoin ne s’en fit sentir que quand la société devint plus nombreuse. Dans la famille, tout était commun à tous ; après qu’on se fut séparé, une communauté nouvelle s’établit pour des objets non moins nombreux que les premiers, mais différents, et l’on fut obligé de s’en faire part selon les besoins, et par la voie des échanges, comme font encore beaucoup de nations barbares. On y échange des objets utiles contre d’autres objets utiles, mais rien de plus : par exemple, on donne et on reçoit du vin pour du blé, et ainsi de suite pour tous les autres objets.

Ce genre d’échange n’est donc pas contre la nature, et il ne constitue pas non plus une manière nouvelle dans l’art d’acquérir des richesses, car il n’avait à l’origine d’autre but que la satisfaction du vœu de la nature. Cependant c’est de lui, selon toutes les apparences, que la science de la richesse a dû naître. À mesure que les rapports de secours mutuel se développèrent par l’importation des choses dont on manquait, et par l’exportation de celles qu’on avait en surabondance, l’usage de la monnaie dut nécessairement s’introduire, car les objets dont la nature nous fait un besoin ne sont pas toujours d’un transport facile.

On convint de donner et de recevoir dans les échanges une matière qui, utile par elle-même, fût facile à manier dans les différents usages de la vie, comme le fer, l’argent ou toute autre substance dont on détermina d’abord simplement la dimension et le poids, et qu’on finit par marquer d’une empreinte pour s’éviter l’embarras de mesurages continuels ; l’empreinte y fut mise comme signe de la qualité.

Lorsque la nécessité des échanges eût amené l’invention de la monnaie, il parut une autre espèce dans la science de la richesse ; c’est le commerce de détail, qui se fit d’abord peut-être d’une manière fort simple, mais où l’expérience introduisit ensuite plus d’art, lorsqu’on sut mieux où il fallait prendre les objets d’échange et ce qu’il fallait faire pour avoir le gain le plus considérable. Voilà pourquoi la science de la richesse semble avoir pour objet l’argent monnayé, et son principal but est de trouver les moyens de s’en procurer une grande quantité ; c’est, en effet, cette science qui produit l’opulence et les grandes fortunes.

Aussi est-ce avec raison que l’on cherche s’il n’y a pas quelque autre richesse et quelque autre science d’acquérir la richesse ; en effet, la richesse et l’acquisition naturelles sont choses bien différentes ; elles constituent la science économique, différente du petit négoce qui produit à la vérité de l’argent, mais pas dans tous les cas, seulement quand l’argent est le but définitif de l’échange. La monnaie est l’élément et le but de l’échange, et la richesse qui résulte de cet art d’acquérir n’a point de limites. »

Aristote, Politique, I, 9, 1256 b 40 - 1257 b 20, traduction Thurot.

Commentaire(s)

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Au chapitre IV du Livre I du Capital, chapitre qui traite de la formule générale du capital (Argent—Marchandise—Argent+) en tant qu'inversion et perversion de la formule de la circulation simple (Marchandise—Argent—Marchandise), Marx cite Aristote dans une note pour avoir lui aussi opposé ces deux types d'échange :

« La circulation simple — vendre pour acheter — ne sert que de moyen d’atteindre un but situé en dehors d’elle-même, c’est-à-dire l’appropriation de valeurs d’usage, de choses propres à satisfaire des besoins déterminés. La circulation de l’argent comme capital possède au contraire son but en elle-même ; car ce n’est que par ce mouvement toujours renouvelé que la valeur continue à se faire valoir. Le mouvement du capital n’a donc pas de limites. »

Vient alors la note :

« Aristote oppose l’Économique à la Chrématistique. La première est son point de départ. En tant qu’elle est l’art d’acquérir, elle se borne à procurer les biens nécessaires à la vie et utiles soit au foyer domestique, soit à l’État. « La vraie richesse (ὁ ἀληθινὸς πλοῦτος) consiste en des valeurs d’usage de ce genre, car la quantité des choses qui peuvent suffire pour rendre la vie heureuse n’est pas illimitée. Mais il est un autre art d’acquérir auquel on peut donner à juste titre le nom de Chrématistique, qui fait qu’il semble n’y avoir aucune limite à la richesse et à la possession. Le commerce des marchandises (ἡ καπηλικὴ, mot à mot : commerce de détail, (et Aristote adopte cette forme parce que la valeur d’usage y prédomine) n’appartient pas de sa nature à la Chrématistique, parce que l’échange n’y a en vue que ce qui est nécessaire aux acheteurs et aux vendeurs ». Plus loin, il démontre que le troc a été la forme primitive du commerce, mais que son extension a fait naître l’argent. A partir de la découverte de l’argent, l’échange dut nécessairement se développer, devenir (τὸ γὰρ νόμισμα στοιχεῖον καὶ πέρας τῆς ἀλλαγῆς ἐστίν) ou commerce de marchandises, et celui-ci, en contradiction avec sa tendance première, se transforma en Chrématistique ou en art de faire de l’argent. La Chrématistique se distingue de l’économique en ce sens que « pour elle la circulation est la source de la richesse (ποιητικὴ χρημάτων… διὰ χρημάτων διαβολης) et elle semble pivoter autour de l’argent, car l’argent est le commencement et la fin de ce genre d’échange ([texte grec]). C’est pourquoi aussi la richesse, telle que l’a en vue la Chrématistique, est illimitée. De même que tout art qui a son but en lui-même, peut être dit infini dans sa tendance, parce qu’il cherche toujours à s’approcher de plus en plus de ce but, à la différence des arts dont le but tout extérieur est vite atteint, de même la Chrématistique est infinie de sa nature, car ce qu’elle poursuit est la richesse absolue. L’économique est limitée, la Chrématistique, non… ; la première se propose autre chose que l’argent, la seconde poursuit son augmentation… C’est pour avoir confondu ces deux formes que quelques-uns ont cru à tort que l’acquisition de l’argent et son accroissement à l’infini étaient le but final de l’économique ». (Aristote : De Rep., édit. Bekker, lib. I, chap. VIII et IX, passim.) »

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La perversion du moyen du moyen en fin absolu vient d'être illustrée par le législateur qui a donné à l'État le droit de mettre en vente le fichier des titulaires d'une carte grise sous le prétexte de protéger les citoyens en matière de sécurité automobile. En cédant ce fichier aux constructeurs automobiles l'État leur permettrait de rappeler efficacement les véhicules défaillants. Mais la sécurité a bon dos, elle peut même servir à se faire un bon matelas. Qui ne voit que les informations versées à ce fichier (adresse, date de naissance du titulaire, type de véhicule, etc.) sont du pain béni pour le marketing? L'état civil est ici foulé aux pieds par le business. On est de plus en plus enclin à voir dans la gestion de notre gouvernement un "affairisme d'État". Mais, attendez, Longuet, ce nom me dit quelque chose...

Voir ici le détail de cette nouvelle affaire sur Le Post

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Nouvelle illustration présidentielle de l'étonnante actualité de cette analyse d'Aristote qui, dans le Livre I de La Politique, prend régulièrement la médecine comme contre-exemple de la chrématistique contre nature et aussi bien comme exemple d'activité toujours susceptible d'être pervertie en production de tokos ou « petit », i.e. de profit.

Nous apprenons en effet que l’avocat d'affaires Sarkozy a travaillé en tant que conseiller pour les laboratoires Servier pendant plusieurs années et que le 31 décembre 2008 il a élevé son P.D.G., Jacques Servier, à la dignité de Grand' Croix de la Légion d'Honneur pour son rayonnement scientifique et pour des services éminents rendus à la France. L'idée d'un possible parallèle entre l'affaire Bettencourt et une affaire Servier vient à l'esprit... Certes Sarkozy a récemment demandé « que la transparence la plus totale soit faite sur [le] dossier » du Mediator, mais c'était la moindre des réactions possibles et surtout il n'a pas dit un mot sur Servier.

Pour Aristote la chrématistique portait dans ses développements potentiels la mort de la cité. Entre 1976, date de sa mise sur le marché, et 2009, plus de 5 millions de Français ont pris du Mediator. On estime d'ores et déjà que cette prise a tué de 500 à 2000 personnes en France : morts de la mort de la cité, de son meurtre, quand l'intérêt pris à/dans l'échange n'est pas porté par le souci éthique et politique de la réciprocité, du bien commun, selon l'étalon d'évaluation de l'unité sociale du besoin.

On sait au moins depuis 1997, très clairement, c'est-à-dire depuis l'interdiction de sa commercialisation aux U.S.A., que le Mediator est dangereux. Mais les laboratoires Servier, selon la pneumologue Irène Frachon, à l'opiniâtreté de laquelle nous devons l'éclatement du scandale, ont brouillé l'information sur ce danger. Et comme pour nous conforter dans notre idée d'un parallèle Bettencourt/Servier, celui-ci nous sert l'argutie de Woerth : "Il y a peut-être l'idée d'embêter le gouvernement" (Cf. Le Monde).

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Confirmation cet après-midi sur Reuters (jeudi 6 janvier 2011 14h30)

« Une enquête unique et des accusations nouvelles sur le Mediator

par Thierry Lévêque

PARIS (Reuters) - La justice va centraliser à Paris les centaines de plaintes visant le médicament Mediator, qui aurait fait entre 500 et 2.000 morts, alors que le patron du laboratoire qui le fabriquait parle de complot.

Ce dossier lance un débat en France sur l'organisation du système de santé et l'influence des laboratoires pharmaceutiques qui ont développé de puissants réseaux commerciaux, financent la recherche et font eux-mêmes contrôles et expertises.

La police et la gendarmerie sont saisies conjointement d'une enquête préliminaire sur le Mediator confiée au pôle de santé publique du parquet, qui traitera l'affaire sans saisir dans l'immédiat de juge d'instruction indépendant, a-t-on expliqué au cabinet du procureur de Paris.

Neuf plaintes ont déjà été reçues, mais 110 autres ont été annoncées à Bordeaux cette semaine par le docteur Dominique-Michel Courtois, président d'une association des victimes. Une autre association de victimes créée aussi cette semaine à Lille annonce 200 adhérents.

Ce regroupement de toutes les plaintes au parquet de Paris a été ordonné par une circulaire du 26 novembre dernier aux procureurs, qui évoque une "bonne administration de la justice", dit-on au ministère.

Le procureur de Paris est Jean-Claude Marin, qui fut directeur des affaires criminelles au ministère de la Justice en 2002-2004, sous la présidence Jacques Chirac.

Le Mediator, un antidiabétique souvent prescrit de manière illicite comme coupe-faim, a été mis sur le marché en 1976 par le laboratoire Servier et n'a été interdit en France qu'en novembre 2009, longtemps après son retrait dans d'autres pays occidentaux.

Dès les années 1990, des médecins avaient lancé des alertes sur ses effets secondaires cardiaques mortels, les valvulopathies, et des études jugeaient par ailleurs qu'il était sans intérêt thérapeutique.

Il était pourtant remboursé et a donc coûté plus de 400 millions d'euros en dix ans à la Sécurité sociale.

TROIS MORTS, SELON SERVIER

L'opposition de gauche réclame une enquête complète, en faisant remarquer que Jacques Servier, président du laboratoire qui fabriquait le Mediator, fut conseillé par Nicolas Sarkozy quand ce dernier était avocat, et que le président lui a remis personnellement la Légion d'honneur en 2008.

Nicolas Sarkozy a fait savoir le 22 décembre qu'il avait demandé en conseil des ministres la "transparence la plus totale". Une enquête administrative a été commandée à l'Inspection générale des affaires sociales et un rapport est attendu le 15 janvier.

Lors d'une cérémonie de voeux à son personnel mardi, Jacques Servier, 88 ans, a estimé que le Mediator n'avait fait que trois morts et que le chiffre de 500 relevait du "marketing", selon le journal Libération de jeudi.

Comme il l'avait déjà fait dans son seul entretien de presse sur l'affaire, dans Le Monde, il s'est dit victime d'un complot politique. "Il n'y a rien de spontané dans le déroulement de l'affaire du Mediator", a-t-il déclaré, selon Libération.

Il estime qu'on amalgame trois décès causés par le Mediator et d'autres ayant frappé des personnes déjà atteintes de valvulopathie. Contactés par Reuters, son avocat Hervé Temime et la société n'ont pas fait de commentaires.

Les évaluations de 500 à 2.000 morts ont été obtenues par des études utilisant, selon ses auteurs, une méthode reconnue par le laboratoire lui-même.

Elle consiste à comparer le nombres de victimes de valvulopathies chez les patients prenant du Mediator et dans le reste de la population.

Le laboratoire Servier a d'ailleurs reçu le 5 octobre 2009 un rapport qu'il avait commandé au professeur Bernard Iung et qui concluait à un lien de cause à effet entre le Mediator et les valvulopathies, révèle jeudi le Figaro.

Le laboratoire n'a pris alors aucune décision et ce sont les autorités sanitaires publiques qui ont finalement, notamment sur la base de cette étude, retiré le Mediator du marché. La société n'a pas souhaité commenter cette information dans l'immédiat.

Thierry Lévêque, édité par Patrick Vignal »

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Depuis que vous avez écrit ce post, Sarkover, de nombreuses affaires liées à la médecine sont venues mettre en lumière la critique aristotélicienne de la chrématistique (contre nature) dont vous disiez à juste titre qu'Aristote l'avait appuyée sur l'exemple insigne de la médecine, «exemple d'activité toujours susceptible d'être pervertie en production de tokos ou "petit", i.e. de profit». Mais nul scandale ne l'a sans doute mieux illustrée que celui des prothèses mammaires PIP. Car Jean-Claude Mas, son patron, loin de clamer son innocence ou son irresponsabilité, comme le font en général les personnes impliquées dans des scandales sanitaires similaires (Servier par exemple), revendique sa malhonnêteté, et ce non seulement au prétexte fallacieux de la meilleure qualité du gel PIP, évidemment dénoncé par les faits, mais au nom du moindre coût de ce produit par rapport au gel homologué. Et le plus renversant est qu'il accuse ses victimes plaignantes de n'avoir que le fric en vue ! Ce cynisme est insoutenable et abjecte mais il montre avec à quel point notre société (si l'on peut encore l'appeler de ce nom) s'enfonce dans l'immonde marchandisation de toutes choses.

Voir par exemple ce compte-rendu du Figaro.fr

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Si vous voulez sauver une vraie richesse publique en voie de limitation budgétaire destructrice, vous trouverez, par le lien ci-dessous, la pétition de défense de l'hôpital public, à faire signer au plus grand nombre possible de personnes. Objectif du Mouvement de Défense de l'Hôpital public : dépasser le million de signatures avant la fin de la semaine. Nous y sommes presque! Il y a actuellement 847 036 participants! Rejoignez-les au nom de tous les malades et bien-portants ; comme le disait le regretté Bernard Giraudeau, « On ira tous à l'hôpital »...
------ Le site de ce mouvement est désormais fermé, la pétition close. Voici quel en était le texte, et voici également le plaidoyer de l'un de ses inspirateurs. On trouvera par ailleurs sur le net d'autres pétitions pour le maintien de tel ou tel hôpital public (modification du 10/09/2012-admin) ------
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Merci pour le texte d'Aristote. Une explication de texte serait la bienvenue également parce qu'il n'est pas facile de comprendre le rapport entre la chrématistique naturelle et la chrématistique contre nature...
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Et alors?... plus d'une année a passé depuis l'annonce d'un commentaire. En attendant, on pourra toujours lire ce texte de Montesquieu sur l'ambivalence du commerce:

L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes: si l’une a intérêt d’acheter, l’autre à intérêt de vendre; et toutes les unions sont fondées sur les besoins mutuels.

 

Mais, si l’esprit de commerce unit les nations, il n’unit pas de même les particuliers. Nous voyons que dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l’humanité demande, s’y font ou s’y donnent pour de l’argent.

 

L’esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte, opposé d’un côté au brigandage, et de l’autre à ces vertus morales qui font qu’on ne discutepas toujours ses intérêts avec rigidité, et qu’on peut les négliger pour ceux des autres.

 

Montesquieu, De l’esprit des lois (1748), Livre XX, Chapitre 2.

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Du nouveau dans l'affaire Servier. Le Figaro.fr révèle, grâce à la consultation des procès-verbaux de cinq mis en examen, comment Servier soudoyait un ex-expert de l'Agence du médicament... Lire Comment Servier s'attirait les bonnes grâces des experts

Une fois encore Aristote se révèle d'actualité, lui qui voyait dans la médecine l'une des premières activités corruptibles par la chrématistique...

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Deux nouvelles mises en examen dans l'affaire Servier, intervenues vendredi dernier, viennent confirmer les informations avancées depuis 2011 par le figaro.fr et reprises dans un article dont nous nous faisions l'écho début mars. Les mis en examen sont l'ex-sénatrice UMP Marie-Thérèse Hermange et un cadre dirigeant de Servier, Jean-Philippe Seta, qui auraient influencé la rédaction d'un rapport sénatorial sur les dangers du Mediator afin d'accabler l'Agence du médicament (ex-Afssaps, devenue ANSM) et de minorer d'autant la responsabilité des laboratoires Servier. Voici ce qu'écrivait alors le figaro.fr :

«Marie-Thérèse Hermange (UMP), auteur du rapport sénatorial sur le Mediator, ne s'est pas contentée de faire "relire" la copie aux laboratoires Servier via le Pr Claude Griscelli pour minimiser leurs responsabilités. Selon nos informations, elle a en réalité passé plus d'une trentaine d'appels au célèbre professeur de pédiatrie et ancien directeur général de l'Inserm pendant la durée de la mission sénatoriale. Elle l'appelait régulièrement pour lui raconter le contenu des auditions. C'est Griscelli qui faisait ensuite la transmission à Jean-Philippe Seta, directeur opérationnel du groupe Servier.

Contactée par Le Figaro, la sénatrice se défend en disant que le règlement du Sénat «n'exclut pas de consulter des experts». Elle ajoute: "Je ne savais pas que Griscelli faisait ensuite des rapports à Servier. Si je l'avais su je n'aurais jamais (elle répète le mot six fois, NDLR) fait appel à lui".»

Voici à présent des précisions données par Libération sur cette double mise en examen: Affaire Mediator: une ex-sénatrice UMP mise en examen.

On peut écouter ici la réaction (sur France Info, le dimanche 28 avril) du docteur Irène Frachon à qui l'on doit la révélation courageuse de la dangerosité mortifère du benfluorex, principe actif du Mediator:

En donnant cet exemple de perversion du politique au plus haut niveau de la République, l'affaire Servier nous rappelle encore une fois la pertinence impérissable de la critique aristotélicienne de la chrématistique qui, selon le Stagirite, ne corromptait pas seulement en "chasses au gain" toutes les activités productives de la société civile, mais atteignait mortellement le coeur même de la cité.

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@kiwikiwi

L'affaire Servier, dans laquelle une sénatrice devient la taupe de la Haute Assemblée au profit d'intérêts privés et malhonnêtes, qui «touche au coeur de la démocratie» selon Irène Frachon, ou qui, dites-vous, illustre la «perversion du politique au plus haut niveau de la République», pourrait bien impliquer également Nicolas Sarkozy. (Re)lire cet article de Sarkofrance : Mediator, la nouvelle affaire d'Etat qui embarrasse Sarkozy

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Le 10 Février 2013, dans Le sens de l'info, sur France Info, Michel Serres et Michel Polacco s'entretiennent sur le thème de «L'argent et l'éthique».

«Il y a confusion entre monnaie et valeurs, entre valeurs et vertus. L'invention de la monnaie avait plutôt joué un rôle pacificateur des conflits et un rôle de créateur de nouvelles ressources dont tous, à des degrés divers, profitaient. La marchandisation des hommes et de la planète a toujours été une tentation, mais aujourd'hui tout est à vendre : science, sport, culture, éducation, justice, planète, êtres humains...»

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Tout le monde connaît désormais l'affaire des prothèses mammaires frauduleuses fabriquées par la société PIP (Poly Implant Prothèse) pour partie au moyen d'un gel «maison» non conforme qui, dix fois moins cher que le gel conforme (le Nusil), a permis à cette société de réduire ses coûts de production d'environ un million d'euros par an et d'augmenter d'autant ses profits.

Le caractère cancérigène du gel frauduleux n'est pas attesté. En revanche, le dernier bilan de l'ANSM a établi que sur environ 29577 femmes explantées en France près de 4816 avaient été victimes d'effets indésirables et 7540, de dysfonctionnements (coupure/trou, désagrégation, défaut visible, respiration, rupture, plis, vague, rotation, retournement, changement de couleur de l'implant).

Sur le plan judiciaire, plus de 7000 femmes ont porté plainte (environ 300.000 dans le monde sont porteuses d'une prothèse PIP), et le 14 mai dernier le procureur de la République de Marseille, Jacques DALLEST, a réclamé entre autres condamnations quatre ans de prison ferme contre le fondateur de PIP, Jean-Claude MAS. Le jugement est en délibéré jusqu'au 10 décembre.

L'affaire illustre particulièrement bien l'analyse d'ARISTOTE, non seulement parce qu'il s'agit d'un cas de perversion chrématistique qui touche à la santé publique, mais encore parce que son principal responsable a publiquement revendiqué son forfait en arguant de la nécessité économique. Jean-Claude MAS ("plus" en espagnol!) a en effet multiplié les déclarations cyniques. Wikipédia (article PIP) en rapporte quelques-unes très éloquentes:

  • Il avoua notamment lors de son audition à la gendarmeriequ'il avait donné «l'ordre de dissimuler la vérité [...] dès 1993» à l'organisme certificateur allemand TÜV. Il détailla par la suite toute la fraude sans la moindre gêne, ni sans avouer le moindre remords, déclarant «Je savais que ce gel n'était pas homologué, mais je l'ai sciemment fait car le gel PIP, rapport qualité-prix c'était moins cher».
  • À propos des plaignantes, Jean-Claude Mas déclara: «Il s'agit de personnes fragiles ou de personnes qui font ça que pour le fric. [...] Moi je vivais bien à l'époque», c'est-à-dire avec une rémunération fixée à 30 000 euros mensuels.

Dans l'extrait suivant d'une vidéo de varmatin.com mise en ligne par Nice-Matin le 28 décembre 2011, on peut entendre l'avocat de Jean-Claude Mas, Me Yves HADDAD, expliquer que son client n'a fait que suivre l'ordre des choses capitaliste. «C'est pas beau, peut-être, mais c'est ainsi», conclut-il. Deux jours plus tôt, sur France Info (le fichier son est hélas désormais inaccessible), il avait déclaré: «Le problème est un problème de prix de revient et de coût, donc de bénéfice. C'est une démarche capitaliste, et c'est comme ça.» Et il avait ajouté que la dangerosité du gel non conforme employé par PIP n'étant pas scientifiquement démontrée, «le reste, c'est de la philosophie. Ce n'est pas bien (...) mais c'est comme ça».

Incroyable tombée de masque qui aurait ravi Bernard MANDEVILLE, l'auteur de La Fable des abeilles, d'autant plus que Me Haddad lui reprend son argument central pour justifier ultimement son client par la «mission de maintenir les emplois» : le vice de la richesse donne du travail aux pauvres..., en l'occurrence les 120 employés de PIP qui sont désormais «dans la panade». En d'autres termes, loin d'un retour de la lutte des classes, s'empresse-t-il de préciser, «c'est le mariage parfait entre le capital et le travail». On croit rêver, mais non. Ecouter Me Haddad louer les bienfaits du vice (extrait audio de la fin de la vidéo de varmatin.com):

Aristote, quant à lui, doit se retourner dans sa tombe. Nous espérons pour notre part que le tribunal de Marseille ne versera pas à son tour dans cette hypostase commode de la lex oeconomica.

Me Yves Haddad, défenseur de Jean-Claude Mas, le fondateur de Poly-Implant-Prothèse, la société qui a commercialisé des implants mammaires remplis d'un gel de silicone frauduleux.

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L'affaire Volkswagen (que l'Agence américaine de protection de l'environnement a révélée en septembre 2015, soit l'utilisation entre 2009 et 2015 d'un logiciel diminuant frauduleusement les émissions polluantes de moteurs diesel lors des contrôles d'homologation et concernant plus de 11 millions de véhicules de Volkswagen, Audi, Seat et Škoda) illustre elle aussi la critique aristotéliscienne de la chrématistique. Le capitalisme est incompatible avec l'écologie. C'est pourquoi la gesticulation, la réunionite des Etats depuis plusieurs décennies n'aboutissent à rien de décisif contre la dégradation accélérée de notre écosystème. L'écologie n'est pas "ni de gauche ni de droite"; elle est anti-capitaliste ou n'est rien.

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Source : Le Monde.fr - 02.11.2015 à 20h00 - Par Stéphane Lauer (New York, correspondant)

La tricherie orchestrée par Volkswagen n’en finit pas de prendre de l’ampleur. Alors que jusqu’à présent on pensait que l’installation d’un logiciel espion permettant de falsifier les tests antipollution ne concernait que les petites motorisations du constructeur allemand, l’agence américaine de protection de l’environnement (Environmental Protection Agency, EPA) a révélé, lundi 2 novembre, que la malversation s’étend également à des moteurs plus puissants sur des modèles de marque Volkswagen, Audi et Porsche.

Ce nouveau volet de l’enquête mené par l’agence fédérale américaine indique que les moteurs V6 de trois litres, équipant des véhicules fabriqués depuis 2014, étaient équipés du fameux logiciel, qui permet de rejeter en toute discrétion jusqu’à neuf fois plus d’oxydes d’azote (NOx) que les seuils autorisés aux Etats-Unis. Au moins 10 000 voitures, des Volkswagen Touareg, des Porsche Cayenne, différents modèles d’Audi Quattro ainsi que des Audi Q5, seraient concernées sur le marché américain.

Elles s’ajoutent aux 482 000 véhicules fabriqués depuis 2008, équipés d’un moteur quatre cylindres diesel de deux litres à propos desquels le groupe allemand a déjà avoué avoir fraudé aux Etats-Unis. Volkswagen a admis avoir trafiqué 11 millions de voitures à travers le monde, mais jusqu’à présent, les modèles incriminés lundi par l’EPA n’étaient pas concernés.

Un scandale à 6,7 milliards d’euros

Ce nouveau rebondissement est le fruit « d’un programme de test qui a été mené par l’EPA, le California Air Resources Board [ARB] et Environment Canada », a précisé Janet McCabe, une responsable de l’EPA lors d’une conférence téléphonique, tout en ajoutant que l’enquête et les discussions avec Volkswagen se poursuivaient. Dans un communiqué, Cynthia Giles, une autre responsable de l’EPA, affirme que « Volkswagen a une fois de plus failli à ses obligations de se conformer à la loi qui protège l’air des Américains. Toutes les entreprises devraient être soumises aux mêmes règles », a-t-elle rappelé.

Quelques instants après les nouvelles accusations de l’EPA, le constructeur allemand a publié un communiqué indiquant que : « Volkswagen AG tient à souligner qu’aucun logiciel n’a été installé sur les moteurs V6 diesel 3.0 litres, dans le but de modifier les caractéristiques des émissions de façon illégale. Volkswagen va coopérer pleinement avec l’EPA pour faire toute la lumière sur cette question ».

La batterie de tests, qui a permis de découvrir que d’autres modèles de Volkswagen sont concernés, fait partie d’une enquête plus large, lancée fin septembre. Elle vise à vérifier les données fournies par tous les constructeurs qui commercialisent des modèles aux Etats-Unis. « Ces tests ont soulevé de sérieuses préoccupations [à propos de Volkswagen] », indique Richard Corey, le responsable de l’ARB. Il a demandé au constructeur allemand de solutionner ces problèmes, qui posent « de graves problèmes de santé publique. L’ARB et l’EPA vont continuer à mener une enquête rigoureuse, qui comprend la vérification de plus de véhicules, jusqu’à ce que les faits soient mis à jour », a-t-il ajouté.

Volkswagen a d’ores et déjà provisionné 6,7 milliards d’euros pour faire face aux coûts du scandale et plusieurs responsables de haut rang du constructeur ont été suspendus. Le patron de Volkswagen pour l’Amérique du Nord, Michael Horn, avait présenté ses « sincères excuses » le 8 octobre devant la commission de l’énergie et du commerce de la Chambre des représentants. « Ces événements sont profondément troublants. Je ne pensais pas que quelque chose comme cela était possible au sein de Volkswagen. Nous avons brisé la confiance de nos clients, de nos concessionnaires et de nos salariés, ainsi que celle du public et des régulateurs », avait-il déclaré lors d’une audition de plus de deux heures.