- dim, 2011-09-11 23:19
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Rappelons-le encore une fois, puisqu’il faut le rappeler à Ségolène Royal qui, bien qu’énarque diplômée en droit et en économie, semble ne pas le savoir, le seul contrat politique légitime est le pacte républicain ou, dans les termes des Lumières (qu'elle invoque en convoquant la notion rousseauiste d'« ordre social »), le contrat social, lequel n’est aucunement un acte s’accomplissant entre le peuple et un particulier, mais bien plutôt – quoique de manière juridiquement absurde, pourquoi, dira Rousseau, un tel contrat est moral – entre les individus et le peuple auquel cet acte même donne naissance.
« Si le pacte républicain est une convention, il faut préciser entre qui et qui », écrivait en 2008 Anicet Le Pors dans une critique du “pacte républicain” de Sarkozy. « Et l’on doit inévitablement pour cela passer par le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, contrat passé entre l’ensemble des citoyens [pour être tout à fait exact : l'ensemble des individus déterminés à se métamorphoser en citoyens par la vertu de cet acte même - note de Politproductions] et une entité appelée nation et constituée de la communauté des citoyens, siège de la souveraineté nationale et populaire [à naître du contrat lui-même – idem]. Historiquement il s’agit d’une dépossession de l’incarnation individuelle du pouvoir en la personne du monarque au profit de la collectivité dans le cadre du concept de contrat social qui conduit à une auto-construction de la personne publique remplaçant celle du monarque. L’affirmation progressive de la nation va de pair, car elle est le creuset naturel au sein duquel s’élabore ce contrat. La problématique d’élaboration du contrat social va ainsi de pair avec la construction de la citoyenneté. »
« Auto-construction de la personne publique remplaçant celle du monarque », oui, Anicet Le Pors dit juste. Politproductions a largement expliqué cette conception du contrat social chez Rousseau dans un article que l’on pourra utilement lire ou relire pour comprendre que le « contrat avec la nation » de Ségolène Royal comme en 2007 son « pacte présidentiel » ou le « pacte républicain » de Sarkozy n’ont rien de démocratique ni de républicain. Dans une démocratie formelle (régime manifestement admis par Royal) un candidat à une quelconque élection se présente devant les électeurs avec un programme et si celui-ci les agrée et qu’ils optent pour lui, son auteur ou son porteur reçoit d'eux un mandat pour le mettre en œuvre. Il y va ici de l’inaliénabilité de la souveraineté populaire. La notion de contrat passé entre un homme et le peuple appartient à la monarchie constitutionnelle, non à la république.
Certes, Ségolène Royal « s’engage », comme il se doit lorsque l’on brigue un mandat, mais elle prétend s’engager « avec » la nation, et non pas seulement « devant » elle, et qui plus est à construire la République. Tout est ambigu dans ce langage qui fleure bon le lys, y compris l’emploi du terme de Nation. Elle dit « je m'engage avec vous », laissant entendre « vous » mes partisans, mes sympathisants mes futurs électeurs. Cependant ce n'est pas tenable. Si un candidat à une élection présidentielle est d'abord celui d'un « parti », il ambitionne de devenir le président de tous les électeurs et même de tous les Français et il doit en conséquence très rapidement se positionner dans cette perspective. D'où Ségolène intitule son contrat « contrat avec la Nation ». Mais supposer un engagement d’un élu avec le peuple électeur est supposer un engagement réciproque du peuple à l’égard de son élu. Or il n’en est aucun. Le statut du Président de la République relève de la Constitution dont le seul auteur est, médiatement ou immédiatement, le peuple lui-même (nonobstant cette anomalie de la Ve que le Chef de l’État fixe lui-même le montant de ses indemnités). L'élu, fût-il suprême, demeure un mandataire et le peuple son mandant. À ces principes la mise en place « au pays de Ségolène » de comités de citoyens chargés de vérifier le respect des engagements pris ne pourrait rien changer. Sauf à renverser la République démocratique. Dans ses Réflexions sur la Révolution de 1688 et sur celle du 10 août 1792, Condorcet marquait nettement la différence entre la souveraineté populaire et la souveraineté royale lorsqu'elles sont toutes deux fondées sur un contrat : l'autorité émanant de la première peut être à tout instant destituée par le peuple, alors que l'autorité royale est indissoluble sauf en cas de manquement du monarque aux engagements qu'il est censé avoir contractés avec le peuple.
Si Ségolène, en tant que citoyenne ou, selon le bon vouloir populaire, en tant que citoyenne présidente, veut vraiment concourir à la République du respect, alors qu’elle commence par respecter la République.
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Commentaire(s)
Mise en scène
Telle est cette triste époque de faux-semblants, que les populistes rivalisent pour mettre en scène le vide démocratique. Ici on nous le rejoue façon révolution française. Mal, il est vrai. Toutefois le plus grave n'est pas sur scène. Il est dans les coulisses où l'on devine sous le masque la gestion trans-partisane qui nous attend...
Le « Contrat social » de Royal n'est pas démocratique
Point 2 : « Pour refonder la démocratie, je m’engage à consulter la Nation chaque fois que l’intérêt supérieur du pays l’exigera... » Tout à fait non constitutionnel. « Refonder la démocratie » n’est pas le rôle d’un élu, fût-il en effet le chef de l’État, mais du peuple réuni en constituante. La consultation référendaire ad hoc et « la participation active des citoyens » n’y suffisent pas. Ségolène Royal confond région et État.
Point 10 : « Ce contrat engage ma responsabilité de femme d’État face à la Nation ». Incomplet ; s’il est un « contrat avec la Nation », il est censé engager également la Nation (le peuple) à l’égard de Ségolène Royal. Ce qui est illégitime pour les raisons exposées par Sarkover.
Ce que j'avais dit dans un commentaire au sujet de la conception sarkozyste de la souveraineté vaut également pour Ségolène Royal (Pour en savoir plus).
Daniel Canepa nous refait le coup d' "un nouveau contrat social"
À lire ci-dessous un bref article de Communistes (N°259 Semaine du 30 juillet au 05 août 2012) sur « La lettre du Préfet de la région d’Ile-de-France N°185 ». Rappelons encore pour notre part que même du point de vue de Rousseau (que Marx ne rejetait pas entièrement) un tel contrat n'a aucun sens...
02 août 2012
Un nouveau contrat social ?
Dans : « La lettre du Préfet de la région d’Ile-de-France N°185 » Le Préfet de région livre en un court éditorial l’orientation politique des forces du capital dans le domaine social. Partant du contrat social de Rousseau qui fut largement l’inspirateur de l’idéologie de la bourgeoisie au XVIIIéme siècle, il décrit ce qui selon lui fait changement et nécessite un nouveau contrat social. À ce titre selon lui « Le cadre est ouvert, les lois changent, les flux de populations, de biens et d’argent se croisent et dans ce mouvement accéléré, de nombreux individus ne trouvent pas leur place. »
Autant dire que leur situation résulte de leur incapacité à s’adapter aux réalités modernes. Les ravages du capitalisme : la misère, le chômage, les guerres de l’impérialisme ne sont pour rien dans les difficultés que rencontrent des milliards d’être humains sur cette planète. Non, c’est la vitesse des choses qui met sur la paille tous ces chômeurs, ces pauvres, ces immigrés économiques et politiques rangés au rang d’inadaptés. Autant dire que le capitalisme, absous par le Préfet, n’a pas d’inquiétude à avoir, le fameux nouveau contrat social est un écran de fumée pour liquider les acquis sociaux et les services publics.