- jeu, 2011-06-23 00:19
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Publié sur Betapolitique le 11 novembre 2007, en réponse à l’article : « Oui, il faut lire la lettre de Guy Môquet » de Laurent JOFFRIN, paru dans Libération le 24 mai 2007.
Sartre doit se retourner dans sa tombe… si de son « huis clos » il perçoit encore les échos de cette « voix de son maître » qu’est devenu le quotidien Libération. En véritable héraut médiatique, Docteur Mouchard, alias Mister Joffrin, a dénoncé le refus des professeurs de lire à leurs élèves la lettre de Guy Môquet. Il y aurait beaucoup à dire. Objectons lui d’abord que les actes ne sont pas seuls à compter, que l’identité et les intentions de celui qui ordonne (et non pas en l’occurrence « propose ») une commémoration déterminent pour une part essentielle le sens et le respect qu’il faut lui accorder. Et tâchons de l’en convaincre, non de le persuader (différence conceptuelle qu’il ne juge pas pertinente en la matière ni opportune dans l’enseignement… comme si tous les démagogues et manipulateurs, depuis les sophistes grecs jusqu’aux tribuns populistes d’aujourd’hui en passant par les terribles conducteurs de masses des années 30, n’avaient pas fait de cette confusion leur première arme…).
Laurent Joffrin sut pourtant se montrer plus juste dénonciateur quand au cœur de la campagne présidentielle il protesta contre les pressions exercées par Nicolas Sarkozy sur les journalistes par l’intermédiaire des propriétaires de leurs journaux. Mais comment ne voit-il pas, ce Directeur de rédaction, qu’un homme qui gagne une élection par de tels moyens ne fait rien de moins dans le principe, sinon dans le degré, qu’un dictateur montant au pouvoir par tous les canaux de la propagande ? « La propagande, écrit Hitler dans Mein Kampf, vise à imposer une doctrine à tout un peuple… la propagande agit sur l’opinion publique à partir d’une idée et la rend mûre pour la victoire de cette idée. » Et peu importe l’idée car, par principe encore, c’est toujours un peuple que l’on sacrifie quand on le persuade ainsi. Le peuple n’est bien conduit que par la raison qui l’instruit. C’est là sans doute ce que signifie la présence d’une tapisserie des Gobelins représentant l’École d’Athènes au dessus du perchoir du président de l’Assemblée nationale et d’une autre dans le cabinet du départ de l’Hôtel de Lassay, face à une statue de la République. Pour convertir le peuple allemand au nazisme Goebbels reçut la mission de diffuser cette idéologie par la musique, le théâtre, le cinéma, la radio, les livres, bien entendu la presse et, last but not least, les documents pédagogiques. Alors, bien sûr, Sarkozy n’est pas Hitler, mais est-il bien sûr qu’il ne glissera pas doucement vers l’autoritarisme, puis vers la dictature, « doucement » c’est-à-dire sous ces couverts doux et prévenants que Tocqueville et d’autres nous ont appris à reconnaître comme les formes softs du despotisme moderne ? Songeons à la lecture de la lettre de Guy Môquet devant l’équipe nationale de rugby par celui qui était appelé au gouvernement à prendre en main les sports et une jeunesse galvanisée par une victoire escomptée, tandis que grâce à une médiatisation sans précédent le ballon oval remplaçait déjà le ballon rond dans les cours de récréation !
Mais Monsieur Joffrin n’a pas été le moins du monde troublé par la décision du Président Sarkozy de fabriquer dès sa prise de fonction un mythe pédagogique. Car il s’agit bien d’un mythe. En témoigne par exemple cette incroyable « erreur » historique commise par les auteurs de « La lettre », court métrage sur les derniers instants de Guy Môquet commandé par la Chaîne parlementaire et diffusé par France Télévision : le fait que Guy Môquet a été fusillé évanoui est escamoté. Sans doute ce détail historique n’a-t-il pas été jugé édifiant pour cette jeunesse à qui l’on voulait inculquer « un exemple » de « sacrifice de soi » selon les mots de Sarkozy repris par Xavier Darcos dans le B.O. du 30 août 2007.
Mais Guy Môquet ne s’est pas sacrifié. Il a été sacrifié. Quand s’est décidée son exécution il s’impatientait d’être placé en liberté surveillée, il était en détention administrative après avoir été acquitté en janvier 41 pour des activités militantes qui l’avaient certes amené en prison mais dont il ne pensait sans doute pas, du moins quand il les commença en octobre 39 (1), qu’elles le conduiraient indirectement à la mort… Ce martyr qui « aurai[t] voulu vivre » a été assassiné par les Allemands non « sur l’ordre de l’état-major allemand et du gouvernement de Vichy » (contrairement à ce que dit confusément le court métrage de LCP) mais sur l’ordre du seul Ministre de l’intérieur de Pétain, Pucheu, qui choisit politiquement les otages réclamés par le Général Stülpnagel en représailles à l’exécution de l’officier Holtz … C’est comme cela, voyez-vous, Monsieur Mouchard, que l’on brouille les mémoires et prédispose à tous les égarements. Le glissement subreptice de sens, dont notre gouvernement nous donne presque chaque jour une illustration, est le premier stratagème de la persuasion sophistique…
Vous rendez-vous compte de ce dans quoi vous trempez, Monsieur Mouchard, quand vous exaltez le patriotisme en soi comme ce vieux gâteux de Maurice Druon reprochant aux professeurs réfractaires à la lecture de Môquet de n’être pas de « bons Français » ? C’est rompus à une telle exaltation, notamment par la pédagogie de la troisième République, que les Français de 1940 ont suivi aveuglément les paroles émouvantes du vainqueur de Verdun, là aussi une affaire de cœur et de don de soi… « C’est le cœur serré que je vous dis qu’il faut cesser le combat », « À mon âge, lorsqu’on fait à son pays le don de sa personne, il n’est plus de sacrifice auquel l’on veuille se dérober ».
Alors, que vous ne compreniez pas pourquoi les professeurs désobéissent à Sarkozy, pourquoi ils refusent le baiser de l’araignée que ce racoleur de l’extrême droite veut par leur bouche faire à la Résistance et à la gauche, lequel me rappelle analogiquement les déclarations de Hitler embrassant le pacifisme pour mieux préparer l’Allemagne à la guerre, que vous ne le compreniez pas, Monsieur Mouchard, au point de dénoncer à la vindicte populaire ces professeurs comme des représentants de l’anti-France, cela me glace d’effroi. Songez seulement, Monsieur Joffrin, que vous auriez pu de nouveau vous illustrer comme celui que vous avez eu le cran de paraître quand vous avez dénoncé au printemps 2007 les pressions exercées par Sarkozy sur les journalistes par l’intermédiaire des financiers dont la plupart des quotidiens de gauche ont été obligés d’accepter peu à peu les capitaux faute de lecteurs, faute de courage éditorial… Vous auriez pu rappeler que le candidat Sarkozy avait contesté aux lycéens le droit de grève et de manifestation pour les renvoyer à leurs chères études, ce qui mutatis mutandis impliquait que Guy Môquet n’aurait pas dû se dresser contre le gouvernement légal de Daladier (qui à l’automne 39 avait décrété l’illégalité du PCF et fait arrêter son père) ni contre celui non moins légal de Pétain. Vous auriez surtout pu dire que tandis qu’il faisait larmoyer les Français sur la lettre de cette victime de la collaboration, Sarkozy démantelait l’une après l’autre les conquêtes de la Libération et, en asservissant les médias, foulait aux pieds le programme du CNR …
« PROGRAMME DU CONSEIL NATIONAL DE LA RÉSISTANCE (DU 15 MARS 1944) : EXTRAIT. II – MESURES A APPLIQUER DES LA LIBÉRATION DU TERRITOIRE […] Unis quant au but à atteindre, unis quant aux moyens à mettre en œuvre pour atteindre ce but qui est la libération rapide du territoire, les représentants des mouvements, groupements, partis ou tendances politiques groupés au sein du C.N.R proclament qu’ils sont décidés à rester unis après la libération : 4) Afin d’assurer : […] la pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression ; LA LIBERTE DE LA PRESSE, SON HONNEUR ET SON INDÉPENDANCE A L’ÉGARD DE L’ÉTAT, DES PUISSANCES D’ARGENT et des influences étrangères ; […] En avant pour le combat, en avant pour la victoire afin que VIVE LA FRANCE ! LE CONSEIL NATIONAL DE LA RÉSISTANCE »
Certes, les choses ne font que commencer avec Sarkozy, mais elle vont déjà bon train, et les espaces de liberté que vous croyez pouvoir occuper dans l’empire de cette pensée unique dont vous prétendez vous faire le critique nuancé, ces espaces ne sont déjà plus que des interstices et bientôt, c’est à craindre, ils confineront au néant comme toute différence de degré entre les démagogues d’aujourd’hui et les dictateurs d’hier… Alors on observera de près si les caméléons de votre sorte, Mister Joffrin, sauront mettre en pratique ces beaux conseils de patriotisme qu’ils prodiguent sans scrupule aux professeurs courageux qui ont choisi de s’engager contre la propagande populiste, de résister à l’ordre de lui prêter leur voix, bref de collaborer. Voilà, Docteur Mouchard, l’exemple qui honore la mémoire de Môquet tandis que la récupération de sa lettre intime pour célébrer la devise « Travail, famille, patrie » en est la trahison absolue qui doit le faire lui aussi se retourner dans sa tombe.
Note :
(1) C’est-à-dire après la mise hors la loi du PC mais avant le décret du socialiste Sérol qui en avril 40 étendit l’application de l’art. 76 du Code pénal (la peine de mort) à « tout Français qui aura[it] participé sciemment à une entreprise de démoralisation de l’armée ou de la nation », ce qui incluait notamment toute activité de propagande communiste… Quant à l’activité militante de Guy Môquet précisément à ce moment-là est-elle bien, selon les mots de Laurent Joffrin, ce « magnifique exemple d’héroïsme manifesté dans la lutte la plus indiscutable qui soit, celle qui a opposé la Résistance aux barbares hitlériens » ? L’émotion que pareille grandiloquence est susceptible de susciter ne saurait prévaloir contre l’exigence « scolaire » d’une enquête historique, seule habilitée à déterminer l’écart éventuel du jeune militant par rapport à la ligne définie par M. Thorez qui n’était pas encore celle de la Résistance, ni prévaloir contre l’exigence politique d’une libre discussion de la légitimité de cette ligne et de cet éventuel écart…
Commentaires :
12 novembre 2007 12:20
A l’auteur de l’article "Sartre doit se retourner dans sa tombe..."
Rappelez-nous ce que faisait Sartre pendant la guerre ? Et ce que faisait Maurice Druon à la même époque ?
D.Foliard
2 décembre 2007 02:45, par Fabien Grandjean
Eh bien, écoutez, je ne vois rien de déshonorant que Sartre aurait fait pendant la guerre. Prisonnier après la défaite, il a plutôt laissé de bons souvenirs à ses compagnons de détention. En 41, il y a l’engagement dans « Socialisme et liberté », même si le mouvement est dissous à la fin de l’année, et puis il y a les Mouches, sans doute représentée devant les Allemands, mais qu’il est difficile de ne pas entendre comme un appel à la Résistance. Et si vous lisez bien l’Être et le néant, vous y trouverez des passages tout à fait honorables contre l’occupant. Et enfin il y aura la collaboration à Combat. Certainement rien d’aussi glorieux que Maurice Druon, encore que lui aussi se soit d’abord plus soucié de faire jouer son théâtre (Mégarée à Monte-Carlo) que de résister… du moins jusqu’en 42 (après Al-Alamein ?). Et puis il y a les hauts faits et le magnifique Chant des partisans. Incontestable.
De toute façon ce n’est pas la question… Mais plutôt : "Peut-on être et avoir été ?". Déjà en 1973, M. Druon ne s’était pas vraiment honoré, lors de son passage au Ministère des affaires culturelles, en faisant chanter les directeurs de théâtre… d’où la manifestation du 13 mai pour défendre la liberté d’expression. En revanche, et cela était pour le coup le sujet, Sartre, pour « donner la parole au peuple », crée en 1973 Libération « en marge des capitaux privés, des banques et de la publicité » (déclaration à France Inter du 7 février 1973)… d’où la trahison de July dix ans plus tard et pour ne rien dire de la suite. J’évoquais ce Sartre-là, non le Sartre de la guerre, non plus que je ne songeais au Maurice Druon résistant, fort respectable, mais à celui qui a dérapé, selon moi, comme je l’ai indiqué…Il est du reste regrettable qu’il ait mis son passé de Résistant au service de cette mauvaise et même de cette fausse cause (dont le présumer "gâteux" était plutôt une manière de le dédouaner...).
12 novembre 2007 22:09, par avril
"Mais Guy Môquet ne s’est pas sacrifié. Il a été sacrifié.... Ce martyr qui "aurai[t] voulu vivre » a été assassiné par les Allemands non « sur l’ordre de l’état-major allemand et du gouvernement de Vichy » (contrairement à ce que dit confusément le court métrage de LCP) mais sur l’ordre du seul Ministre de l’intérieur de Pétain, Pucheu, qui choisit politiquement les otages réclamés par le Général Stülpnagel en représailles à l’exécution de l’officier Holtz."
Betanonyme, ne chercheriez-vous pas, vous aussi, à "brouiller les mémoires et prédisposer à tous les égarements" ? Qui a sacrifié Guy Môquet sinon les 3 assassins communistes du colonel allemand agissant sur les ordres de Moscou ? Le parti ne pouvait-il pas s’attendre à la réaction violente de l’occupant ?
Si Pucheu n’avait pas fait ce choix terrible, pensez-vous que l’occupant se serait abstenu de toutes représailles, sans doute encore plus terribles ? Et cela en vertu des conventions de Genève qui fixaient le nombre d’otages à fusiller en cas de l’assassinat par un civil d’un soldat ou d’un officier de l’armée d’occupation.
Le parti communiste voulait déclencher le cycle action - répression, quel qu’en soit le prix en victimes civiles pour soulager Moscou. Ces actions ont été notamment désapprouvées par Londres car n’ayant aucune utilité sur le plan militaire. Mais il est vrai que pour les communistes, la vie n’a de prix.
Si Pucheu a choisi des militants communistes "plutôt que des Français innocents", n’est-ce pas en raison de l’attitude collaborationniste du parti jusqu’au 22 juin 42 ? Combien de soldats français sont morts victimes des sabotages du matériel de guerre ou des informations fournies à l’armée allemande par les communistes, lors de l’invasion ? Comment la population française soumise à l’occupation aurait-elle pu oublier le pacte germano-soviétique, l’applaudissement du parti à l’écrasement de la Pologne, les félicitations de Staline à Hitler pour sa victoire sur la France, l’appel en juillet 40 à la "fraternisation des ouvriers français avec le soldat allemand"... ?
Un parti qui sera plus tard responsable de la mort de milliers d’innocents sous couvert de résistance puis plus tard d’épuration. Sans oublier qu’un certain Thorez appelait en 1948 la population française à faire le meilleur accueil ... à l’Armée rouge.
Je précise bien que je déplore de tout coeur la mort de ce jeune homme de 17 ans, victime du fanatisme de ses amis politiques. Mais j’aimerais savoir ce que vous auriez fait, Betanonyme, à la place du ministre de l’intérieur de l’époque qui a dû assumer les conséquences de la trahison communiste : l’occupation de notre pays.
Quant au CNR, il serait bon aussi d’expliquer à la jeunesse française les raisons qui ont fait qu’au fur et à mesure que la guerre avançait, la proportion de communistes en son sein augmentait après la ...disparition progressive des membres non communistes de ce conseil.
2 décembre 2007 03:20, par Fabien Grandjean
Je ne sais pas ce que j’aurais fait..., on ne sait jamais ce que l’on "aurait" fait..., Bien sûr, "je voudrais avoir été héroïque" ; mais voyez comme cette construction est difficile. C’est que la langue supporte mal l’irréel du passé en matière morale. On ne peut jamais savoir ce que l’on aurait fait, car il n’y a pas de science, ni avant ni après, de la libre décision. En revanche, il y a un savoir pratique du devoir, et je sais et j’aurais su distinguer le faillir et le falloir, voyez Le Nord de Vercors (l’agent Bruller). En gros, votre argument est sempiternel, il est celui de Bousquet et de tous les pétainistes : "Nous étions sous la botte allemande, nous n’avions pas le choix, nous ne pouvions que tenter de négocier à la baisse les exigences de l’occupant, etc.". Mais, outre que les collabos français, et notamment ceux de l’entourage de Pétain, ont le plus souvent devancé la demande des Allemands (notamment pour ce qui est de la déportation des Juifs), cet argument ne tient pas, il est moralement irrecevable. On n’envoie pas un enfant à la mort, on prend le maquis ou on meurt sur place. Imaginez Moulin dans son wagon à bestiaux, et demandez-vous ce qu’aurait fait cet homme-là.
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